[Billet de David Carzon, journaliste à 20 minutes, invité temporaire sur ce blog, qui vient d'arrêter le sien]
On glose
beaucoup en ce moment sur la fin des blogs. Ou tout du moins sur une
certaine forme de lassitude des blogueurs après la période
présidentielle. Certains, comme mon hôte, estiment, à
juste titre, qu’il n’y a pas d’apathie mais qu’on
assiste plutôt à une mutation doublée d’un
moindre intérêt des médias, pour le moment en
tout cas.
Difficile de savoir exactement de quoi l’avenir sera fait, même si je pense que cela passe notamment par un regroupement de talents complémentaires comme sur BienBienBien. En revanche, s’il y a une chose qui n’a (presque) plus de raison d’être, c’est le blog de journalistes. A part les arbres Apathie et consorts qui cachent la forêt des soutiers de l’info, vous en lisez beaucoup vous des carnets tenus par des rédacteurs et qui les utilisent en complément de leurs articles ou de leurs activités professionnelles ?
Au début, on aurait pu croire que le blog était l’outil idéal pour tisser un lien entre les journalistes de rédaction dite classique et leurs lecteurs, notamment parce qu’il permet une plus grande liberté d’écriture et évidemment une plus grande interactivité. Illusion. Pour plusieurs raisons.
D’abord parce qu’il est difficile pour un journaliste de pouvoir alimenter un blog à caractère professionnel avec la pression de rendement qui existe dans la plupart des rédactions. C’est pour ça qu’après un moment d’euphorie où les notes s’empilent tous les jours, le rythme finit par se ralentir.
Ensuite parce qu’il faut le nourrir avec du contenu original ou intéressant. Et là il y a plusieurs cas de figure :
le journaliste a déjà tout raconté dans son papier et sur le web, et là que dire hormis les coulisses du reportage et de l’enquête qui ne sont pas toujours passionnantes (si si je vous jure, lorsque vous faites une enquête par téléphone avec utilisant vos contacts, il n’y a pas vraiment d’à-côtés à raconter) ?
le journaliste ne peut pas tout raconter d’un sujet ou de ses coulisses par pression, par censure ou autocensure et là le blog peut servir à tout raconter, mais dans ce cas il a généralement a une durée de vie très courte
le journaliste n’a rien à dire sur son métier, les conditions de son métier et son blog prend une tournure très personnelle, ce qui est louable mais n’en fait plus un blog de journaliste, mais un blog tout court.
Un blog de journaliste passe souvent par toutes ces phases, et parfois même temps. Pour ma part, j’ai la chance de pouvoir écrire ce que je veux dans mes papiers et de pouvoir utiliser le site internet de mon journal pour raconter les coulisses ou es à-côtés. Il ne reste plus de place pour grand-chose, hormis pour mon imagination, mais là, nous ne sommes plus dans l’information.
Enfin, avec le temps, on se rend compte que le blog est surtout un outil pour donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas, et non pour donner un espace supplémentaire à ceux qui l’avaient déjà. En regardant l’architecture des sites comme rue89, Lepost ou 20 Minutes (je fais ma pub un peu), on comprend que ces derniers préfèrent mettre en avant les contributions des lecteurs par le biais des blogs, chats, débats, commentaires et même articles, car les plus contributifs sont avant tout nourris par les internautes eux-mêmes. Et se revendiquent sites d’informations. C’est une tendance lourde d’internet à l’heure actuelle.
N’oublions pas non plus qu’internet et les blogs ont permis à une nouvelle génération de journalistes de sortir des sentiers battus et de s’affranchir des usages en créant un nouveau style, un ton. Dans ce cas, ils ont leurs raisons d’exister propres, hors des rédactions.
Au bout du compte, le blog est un outil journalistiquement intéressant pour une rédaction classique quand il s’agit de créer des blogs collectifs pour des occasions précises : élections, événements sportifs ou autres… Car là, il y a souvent de la matière qui n’est pas utilisée et qui reste sur le carreau. C’est une manière de croiser aussi les points de vue quand toute une rédaction joue le jeu.
L’élection présidentielle de 2007 a montré la voie d’une telle utilisation mais aussi les limites d’un exercice qui peine à dépasser les lectures partisanes. Nous n’en sommes qu’au début, mais ce n’est pas s’avancer beaucoup que de dire que les aventures collectives sont souvent plus passionnantes que les exercices solitaires. Du moins sur le papier…
Et pour les scribouillards comme moi, il ne reste plus qu’à se faire inviter de temps à autres sur des blogs pour publier des notes qu’on espère pertinentes (ce que je suis en train de faire s’appelle la preuve par l’exemple). Les journalistes obligés de se faire inviter par de « vulgaires » blogueurs… Mon dieu, mais c’est le monde à l’envers. C’est ça qui est bien aussi.
David Carzon
Je pense personnellement que les blogs resteront un element important du paysage web dans les annees a venir. La presse a fait un revirement vers les social networking websites du type facebook, ou myspace y voyant (a tort!) le bourreau des blogs. C'est vrai que l'on assiste a un essouflement dans la creation de blogs... mais chacun sait que doubler la blogosphere tous les 3 mois, ca ne pouvait pas durer jusqu'a l'infini. Il faut ajouter a cela le fait que beaucoup de createut de blogs n'ont rien a dire non plus et dechantent vite quand il s'agit de le maintenir de facon reguliere.
Rédigé par : Samir | 24 septembre 2007 à 13:11
"Le blog est surtout un outil pour donner la parole à ceux qui ne l'avaient pas, et non pour donner un espace supplémentaire à ceux qui l’avaient déjà".
Vous avez trouvé les mots pour résumer mon point de vue sur les blogs de journaliste !
Excellente analyse.
Rédigé par : Boris | 24 septembre 2007 à 14:10
"Enfin, avec le temps, on se rend compte que le blog est surtout un outil pour donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas..."
Il sert aussi à l'information locale des petites ville dans lesquelles les médias n'existent pas ou sont rares.
Rédigé par : 13770 | 24 septembre 2007 à 14:12
Je découvre ce blog. Il aurait pu m'intéresser!
Rédigé par : Eric | 24 septembre 2007 à 14:24
Jean Quatremer doit etre l'exception qui confirme la regle.
Rédigé par : Esurnir | 24 septembre 2007 à 14:41
J'aime beaucoup. Point de vue lucide, loin des clichés du "journalisme citoyen". Comme quoi, à 20 minutes, ce n'est pas que du copier coller de dépêches d'agence.
Rédigé par : Eolas | 24 septembre 2007 à 16:20
@Esurnir : parce que le blog de Jean Quatremer rentre presque si j'ose dire dans la catégorie "le blog est surtout un outil pour donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas". Il publie certes des articles dans Libération mais ceux-ci ne représentent qu'une très faible partie de tout ce qu'il y a à dire sur le sujet qu'il traite. En outre il peut se permettre de prendre une position plus engagée que dans le journal (où après tout il ne faut pas désespérer Pierre Marcelle).
À vrai dire pour les journalistes spécialisés le blog peut permettre d'approfondir ce que l'espace de quelques colonnes qu'on leur accorde ne peux permettre de développer. Il a alors une vraie utilité. Encore faut-il pouvoir s'y consacrer ce qui n'est pas facile comme le souligne David Carzon.
Rédigé par : valéry | 24 septembre 2007 à 22:07
Moi je blogue sur la politique depuis pas mal de temps et je ne pense pas m'arrêter.
Et si certains veulent me donner un coup de main, c'est ici :
http://lechamplibre.blogs.com/lechamplibre/2006/07/le_champ_libre_.html
Rédigé par : Le Champ Libre | 24 septembre 2007 à 22:52
Je suis d'accord : il y a un grand avenir aux blogs collaboratifs. Ce qui pose aussi le débat sur l'UGC.
A voir sur le même thème : Blog is dead
http://www.lepost.fr/article/2007/09/09/1014797_blog-is-dead.html
Rédigé par : james | 25 septembre 2007 à 11:54
Je suis d'accord : il y a un grand avenir aux blogs collaboratifs. Ce qui pose aussi le débat sur l'UGC.
A voir sur le même thème : Blog is dead
http://www.lepost.fr/article/2007/09/09/1014797_blog-is-dead.html
Rédigé par : james | 25 septembre 2007 à 11:55
"A part les arbres Apathie et consorts qui cachent la forêt des soutiers de l’info..."
J'ai un peu du mal avec la logique, en quoi Apathie "et consort" (sympa pour les "consorts") ne seraient pas des exemples valables?
Perso, lire les blogs de Jean Quatremer ou de Nick Robinson a encore un sens. Beaucoup plus que de lire de nombreux blogs de non-journalistes.
Rédigé par : Thomas L. | 25 septembre 2007 à 13:40
@ Thomas :
juste quelques précisions par rapport à ton commentaire. Lire Quatremer notamment a encore un sens bien, il y a des exceptions à la situation que j'ai tenté de décrire. Il y a des blogs qui font références ou vedettes, qui sont des exemples valables mais qui masquent la réalité de l'apathie (je sais c'est facile) du carnet de journalistes depuis quelques mois pour les raisons que j'ai développées. Celui de Quatremer est exceptionnel à plus d'un titre. Déjà parce qu'il est bon et en plus, ce journaliste de Libération peut placer sur son blog les infos qu'ils traitent tout au long de l'année sur l'union européenne et qui ne trouvent pas toujours leur place dans Libé. Effectivement pour lui, c'est l'outil idéal. Je peux te dire pour ma part, quand j'ai fait un papier pour le print et un autre angle pour le web par exemple, j'aurais du mal à éviter la répétition sur un blog... On en revient à la question du temps.
Et dernière chose : consort n'a rien de péjoratif si tu l'entends par personne de la même espèce (terme derrière lequel tu peux entendre : talent, notoriété, ou encore métier).
Bien à toi
Rédigé par : david carzon | 25 septembre 2007 à 14:30
David,
Mais est-ce vraiment des exceptions? Je viens d'aller faire un tour sur le blog de Pascale Robert-Diard (Chroniques Judiciaires). Ce n'est pas un blog vedette, - a vu de nez - il est bien moins lu que Versac "et consort"... et pourtant sa lecture apporte beaucoup.
Dire que tu as peur de la répétition, je comprends bien et j'estime plus ceux qui évitent la répétion que ceux qui assument le copier-collage. Apres tout, avoir un blog n'est pas une obligation pour un journaliste. Et personne n'oblige les journalistes-blogueurs a publier tous les jours. Par exemple, le blog de Corine Lesnes a encore un sens car il apporte plein de petites infos, souvent legeres, que l'on n'a pas forcement acces. Et sa fréquence de publication est plutot irreguliere.
Et que dire de Pierre Assouline qui publie presque tous les jours?
Nan, perso, on assiste a un écrémage (je ne dis pas ca pour toi) entre ceux qui ont suffisement de créativité et de sang-froid et ceux qui préférent passer la main.
Pour tous ces blogs: Quatremer, Corine Lesne, Assouline, Robert-Diard, j'ai un peu du mal a les voir rentrer dans le moule collaboratif. Surtout Assouline qui déteste tous ces machins collaboratifs.
Sur le "et consort" je me moque - gentiment - c'est juste que cela fait un peu "anonyme."
Rédigé par : Thomas L. | 25 septembre 2007 à 14:57
Les blogs que tu cites sont ceux qui ont une existence propre avec un point commun : les journalistes ne traitent que d'un domaine (sujet ou géographique tellement vaste qu'ils ont plus de matière qu'ils ne peuvent publier), ce qui est de plus en plus rare. Et tu as raison, ceux là ne rentrent pas dans le moule collaboratif, mais ce n'est pas à eux que je pensais en parlant de ça.
Tu peux parler d'écrémage même pour moi, je ne me sentirai pas vexé. Mais j'y mettrai juste une notion de sens, plus que de créativité.
Rédigé par : david carzon | 25 septembre 2007 à 15:13
"ce qui est de plus en plus rare."
Je ne sais pas: le récent blog de Jean-Dominique Merchet tient plus que la route.
Si on parle des blogs qui ne se contentent pas d'un sujet, on peut citer celui d'Erwan le Duc qui jongle avec plein de sujets a la fois.
Tout ca pour dire que pour répondre a la question: "vous en lisez beaucoup vous des carnets tenus par des rédacteurs et qui les utilisent en complément de leurs articles ou de leurs activités professionnelles ?" Encore quelques uns, oui...
Rédigé par : Thomas L. | 25 septembre 2007 à 15:38
Thomas, je te laisse le dernier mot.
Merci pour cet échange instructif pour moi.
Et merci à Versac de l'avoir permis.
Rédigé par : david carzon | 25 septembre 2007 à 17:14
"Et que dire de Pierre Assouline qui publie presque tous les jours? "
Ben rien... Quant on lui signale une naïveté, il le prend de haut, genre je ne cause pas au menu fretin qui ne sait pas lire.
"Surtout Assouline qui déteste tous ces machins collaboratifs."
Pourquoi ne suis-je pas étonné ?
Rédigé par : Ibuse | 25 septembre 2007 à 19:51
"Quant on lui signale une naïveté, il le prend de haut, genre je ne cause pas au menu fretin qui ne sait pas lire."
Nous n'avons pas la meme experience. Assouline a répondu a mes mails, meme critiques, avec une grande courtoisie.
Rédigé par : Thomas L. | 26 septembre 2007 à 12:25
J'aime bien commenter avec 10 jours de retard. Surtout pour dire ça : je serais très inquiet pour eux que les journalistes n'aient rien de plus à dire que ce qu'ils disent dans leurs articles... Après, les connivences, tout ça, c'est autre chose.
Rédigé par : FG | 03 octobre 2007 à 19:26