Ce sont donc deux ministres qui ont annoncé officiellement la fusion de deux entreprises françaises, Suez et GDF. Et que l'on analyse ça toute la journée, sur fond de croisement avec Arcelor, en y allant de son soutien au patriotisme économique, ou de son hostilité à la dérive libérale ou la privatisation rampante.
J'aurais du mal à donner un avis sur le sens stratégique pour Suez et GDF. Après tout, ils ont, sinon une réelle complémentarité territoriale, au moins une complémentarité de métiers, et deviendraient suffisamment gros pour ne pas se faire manger tout de suite (mais l'OPA, ou l'OPE, resterait une perspective pour un tel groupe, au capital très ouvert). Admettons que cela fasse sens. Suez avait besoin de grandir et de s'allier. GDF aussi. Les mariés se sont trouvés beaux, avec l'aide de parents peut être un peu insistants. Cette fusion ne pourrait d'ailleurs être que le début d'une concentration vraiment mondiale.
Pourquoi, si on y réfléchissait depuis des mois, faire annoncer une telle opération en urgence un samedi par le premier ministre ? Quel signal a-t-on voulu donner aux marchés, à nos partenaires européens ? Pourquoi le gouvernement s'acharne-t-il à nier la loi sans consulter le parlement ? Loi récente, en outre, qui date d'août 2004.
En août 2004, justement, quand on a ouvert le capital de GDF, on avait pris soin, auprès de toutes les parties prenantes, de garantir que l'Etat resterait au delà de 70% du capital. Que la privatisation ne serait pas rampante, pensez-vous. Ne pouvait-on pas, à l'époque, anticiper un peu ces mouvements du marché, cette concentration. N'est-ce pas la raison même qui a poussé les gouvernements successifs de Lionel Jospin puis de Jean-Pierre Raffarin de restrcuturer ces entreprises pour en faire de véritables entreprises, acteurs mondiaux ? Qu'y avait-il de honteux à l'époque à expliquer ce projet énergétique avec clarté ? Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui qui change véritablement la donne, et qu'on ne pouvait anticiper au moment du débat démocratique ?
Voila ce qui est désastreux, dans la gestion de cette fusion : l'impéritie, l'absence de vision. L'absence de partage de vision au bon moment de la prise de décision. Non point qu'on n'ait pas besoin de flexibilité et de réctivité, ni que le gouvernement ne doive s'enferrer dans des cadres trop contraignants. Mais sur un sujet aussi sensible, et porteur de sens, que le service public, en France, faire l'économie de la pédagogie et du débat démocratique, c'est faire preuve d'une absence totale de courage. Qui va payer : qui sanctionnera les mensonges et l'absence de vision ?
L'autre triste aspect de ces grands mouvements du secteur de l'énergie, et particulièrement du mouvement français (mais aussi de la réaction du gouvernement espagnol), c'est l'abandon de toute ambition européenne commune. Tous les - grands - pays veulent avoir leur grand champion national, et cela ne semble pouvoir se faire qu'en bouffant celui des autres, d'après eux. Et chacun est prêt à renier sinon les rêgles, au moins les ambitions communes pour y arriver. On se bat entre nous, on se fatigue les uns les autres, on se divise, là où nous devrions oeuvrer pour établir de grands champions européens, certes, une saine concurrence, et une politique partagée de service universel.
L'image d'un vieux village qui se replie sur ses querelles internes, comme pour mieux se protéger du monde ?
J'ai vu à la télé les deux PDG de Suez et de GDF au garde-à-vous et silencieux entourant TB. Un peu surréaliste tout de même.
Et les actionnaires Suez, qu'en pensent-ils ? Ils ne sont pas obligés de réponde favorablement à l'OPA de GDF et/ou celle de Enel. En quoi l'OPA de Enel est-elle "hostile" ? Et si GDF veut endosser les beaux habits du chevalier blanc il faut modifier la loi dare-dare, bref ça sent l'impro.
Rédigé par : all | 28 février 2006 à 08:01
Le titre est une boutade j'espère....
Rédigé par : Krysztoff | 28 février 2006 à 11:29
Le titre montre qu'il y a de l'eau dans le gaz!
Rédigé par : nouvouzil | 28 février 2006 à 13:55
Un marché européen de l'électricité n'est qu'une illusion tant que les capacités d'interconnexion transfrontalières ne se seront pas grandement développées.
Il y a peu de chances de voir ces interconnexions développées, car elles nécessitent de grands et forts pylônes d'autant plus mal acceptés par les populations survolées qu'ils ne sont pas vraiment à leur service.
L'électricité est un pondéreux qui se produit près des lieux de consommation donc pour un marché national.
Pour le gaz je connais moins, mais SUEZ et GDF vont rester des nains en matière de production.
La conclusion : sous couvert de patriotisme industriel, le père Noël passe en février pour M. Mestrallet, qui voit ses rêves réalisés : EDF affaiblie, une belle machine à cash comme GDF dans la poche, et aucun perturbateur puisqu'il n'y a plus rien à acheter...
Excellente opération capitalistique. L'abonné au gaz moyen n'a pas fini de payer les dividendes de l'actionnaire. S'il est aussi actionnaire, tant mieux pour lui, mais il lui faudra un beau paquets d'actions pour chauffer tout un hiver...
Rédigé par : traxler | 28 février 2006 à 15:44
Je ne comprends pas : tu veux dire que d'un côté Jospin et Raffarin avaient raison, mais que de l'autre Villepin, Zapatero et Buffet et quelques autres ont tort ?
Si oui, il faut s'inquiéter : tous ceux que tu décris comme ayant eu raison ont été méchamment éjectés de leurs fonctions, mais bon. Ne s'agirait-il par hasard pas d'un cas typique de pensée unique en action ?
Quand à "expliquer le projet", encore faudrait-il qu'il existe, ledit projet : car, après tout, comme lors de la campagne pour la constitution européenne, constater que si aucun des hommes "les plus intelligents" ne parvient à rendre un projet intelligible, sans doute faut-il convenir de la non-existence dudit projet.
Ou alors admettre que ceux ici nommés les plus intelligents se contentent d'incanter, c'est à dire, énoncer avec emphase de grands mots en l'air face aux idoles sous les yeux des foules attentistes. Ou, comme dit mon collègue "Yaka, yaka, yaka".
Mais après tout, ce point, qui, je l'amdets, peut faire débat, s'éclaircira d'autant plus qu'il sera géré par des hommes de moins en moins à la hauteur de l'enjeu. Et puis, après tout, ça peut toujours aider à rendre moins audibles les protestations actuelles des étudiants, des chercheurs, des intermittents du spectacle, de sorte à réduire le dialogue social à l'affrontement entre réformateurs évidemment progressistes et conservateurs évidemment passéistes.
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Aldo Moro, reviens ! Ils sont devenus fous.
Rédigé par : Gus | 28 février 2006 à 16:07
Ah oui, elle m'avait échappé celle-là: " N'est-ce pas la raison même qui a poussé les gouvernements successifs de Lionel Jospin puis de Jean-Pierre Raffarin de restrcuturer ces entreprises pour en faire de véritables entreprises, acteurs mondiaux ?"
Comme si EDF avait attendu Jospin pour devenir le premier électricien mondial, son statut public ne l'ayant jamais handicapé à l'international pour faire reconnaitre l'excellence de son expertise et de ses compétences. Comme si EDF avant Jospin puis Raffarin, tout EPIC qu'elle était, n'était pas une véritable entreprise et un acteur déjà mondial...
Sur ce coup là, tu me déçois un peu Versac.
Rédigé par : Krysztoff | 28 février 2006 à 16:13
"projet industriel" : je veux bien mais ne sais pas.
Qqun peut-il m'expliquer ce que l'activité de Suez / Lyonnaise / Electrabel gagne à être fusionnée avec celle de GDF, et réciproquement ?
Ou bien faut-il s'attendre à ce que quelqu'un nous explique dans 3 ans que la défusion créera de la valeur ?
Rédigé par : FrédéricLN | 28 février 2006 à 22:18
"réponds toi à toi-même" me disait mon prof de grec qui ne connaissait pas les blogs.
Selon l'AFP, les PDG de Suez et GdF expliquent "Le gaz de GDF pourra notamment servir à produire de l'électricité avec la création de nouvelles centrales." - bof bof, insuffisant à mon goût. Suis-je trop diffficile ?
Rédigé par : FrédéricLN | 01 mars 2006 à 07:27
Juste un point de détail : gouvernement ou pas, toutes ces opérations se font toujours le samedi, à la va-vite, en attendant la réouverture des marchés (cf BNP-BNL et j'en passe....) Je trouve tous ces arguments bien convenus : j'attends qu'on me démontre en quoi une fusion Enel-Suez aurait eu plus d'intérêt qu'une combinaison Suez-GDF. Tout le reste est littérature.
Rédigé par : zvezdo | 01 mars 2006 à 07:29
Ce qui est embetant, c'est aussi que le domaine dans lequel la France se détache, c'est les "champions" dans les activités de monopole ou quasimonpole.
La prédiction de Fukuyama se réalise donc : un pays centralisé, voir gangréné par sa centralisation, sera incapable d'émerger fortement ailleurs que dans les secteurs dominés par des gros mastodontes (acier, utilities, defense,...)
Rédigé par : V | 01 mars 2006 à 09:10
A lire : http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=2460
Extrait :
[...]
# La très récente décision française de fusion de GdF et de Suez est considérée comme une mesure protectionniste. D'une façon générale, on considère que la France est prête à agir de façon décidée pour protéger certaines industries (l'énergie, les hautes technologies, etc.), et on l'observe d'ailleurs avec cette opération. La vision est résolument dans le sens d'une figuration plus nationale dans tous les composants de ce qui est en général désigné comme la "guerre économique", - ce qui doit être entendu dans son sens le plus large : économie comme facteur politique, stratégique, voire culturel. Il s'agit clairement d'obtenir pour la France ce que la France réclame depuis plusieurs années comme régulation du mouvement de globalisation. Puisque cette régulation n'a pas été mise en place, la France la met en place pour son compte.
# On a vu que d'autres pays suivent la même voie que la France : l'Espagne est mentionnée. On ajouterait le Royaume-Uni et l'Allemagne, notamment pour les grands domaines de hautes technologies (armement) et quoique de façon plus erratique que la France.
# Au contraire, en Europe, des pays qui ont joué le jeu du libéralisme se trouvent pris au piège. C'est le cas de l'Italie: « Italy's establishment was shocked to discover that its economic liberalism and free-market orientation is somewhat "asymmetric" in Europe. Rome had previously agreed to the expansion of French corporations' influence in the Italian economy, particularly in the banking, transport and energy sectors. Berlusconi's government had acted to remove obstacles in the way of French majors such as the Paribas banking group (which will absorb Italy's Unipol). Moreover, Rome's protest against the merger is based on the claim that no resistance was put up by Italy against Air France's attempt to buy Az Fly (a company owned by Alitalia), nor against EdF's increasing influence in Italy's Edison (an energy services company). » (selon PINR).
[...]
Rédigé par : Rolling | 01 mars 2006 à 13:25
"La prédiction de Fukuyama se réalise donc : un pays centralisé, voir gangréné par sa centralisation, sera incapable d'émerger fortement ailleurs que dans les secteurs dominés par des gros mastodontes (acier, utilities, defense,...)"
V: Je suppose que vous n'aviez pas remarqué, malgré des difficultés récentes poussant d'ailleurs à une redistribution des cartes et une évolution rapide de la filière, la France reste leader (contesté, je l'admets) mondial dans le domaine du vin dans un marché en constante évolution et champion de la création de valeur dans le secteur ?
Mais peut-être vous imaginez-vous qu'on fait du vin artisanalement dans une cave grace à quelque don divin nommé "terroir" et la grâce de la bonté des hommes de là-bas ?
Ha, bien sûr, vous me direz, ça ne concerne pas toute la France. Ha ben non. Vous croyez sérieusement que tout ce qu'ont pu faire les administrations parisiennes a pu être de quelque utilité pour maintenir le niveau d'excellence de la filière et l'attractitivité de son savoir-faire ?
Rédigé par : Gus | 04 mars 2006 à 13:01
Je dirais en plus direct que gus : dans le XXIème siècle, un univers de concurrence monopoliste (volle.com), la capacité à produire de la richesse est la capacité à valoriser ses actifs (son territoire, son histoire, sa culture, ses talents).
Mais la fusion Suez-GDF crée-t-elle pour nous une capacité supplémentaire à valoriser nos actifs ?
Rédigé par : FrédéricLN | 04 mars 2006 à 22:54
Le problème est que rares sont les économistes à oser se risquer à une évaluation de quelque chose qui ne soit pas destiné à être mis sur un marché.
Or, dans un système coopératif (comme l'est presque nécessairement l'agro-alimentaire même de très haut de gamme pour être compétitif à l'échelle mondiale), les producteurs ne souhaitent travailler qu'avec un appareil de production, transformation, distribution, valorisation qu'ils puissent contrôler, et donc, dont la propriété ne saurait se négocier sur un marché.
Malgré le désavantage compétitif manifeste constitué par la fiscalisation des services rendus entre producteurs (par opposition à une organisation en firme à l'intérieur de laquelle la coopération n'est pas fiscalisée), le système reste compétitif, et personne ne souhaite réellement se demander pourquoi, alors même qu'il contribue par effet de bord à l'insertion de catégories socio-professionnelles objet de tant d'attentions de la solidarité nationale, et parvient même à leur promettre l'accession à la propriété de leurs terres à moyen terme.
Mais évidemment, s'il s'agit de singer les américains, (par exemple en promouvant comme unique modèle de developpement la firme à terme destinée à être cotée) sans autant se résoudre à adopter totalement leur modèle social, c'est moyen-efficace comme solution.
Rédigé par : Gus | 04 mars 2006 à 23:54
merci Gus (et versac) - entre ces deux exemples, on marche en crabe mais on avance.
La seule chance de réussite de notre agro-alimentaire est d'être/devenir un système coopératif créant de la valeur par innovation, labellisation, effet d'image, aller-retour entre héritage des territoires et créativité de l'instant (du pur "clue train manifesto" !). Avec en aval, un système de distribution / marketing "transparent", c'est-à-dire à la fois de qualité au sens "ISO", et immédiatement réactif. Dans tout ça, les seules qualités qu'apportent éventuellement les mégafusions, c'est l'ISO et la force de frappe médiatique. Enjeu : comment les obtenir sans mégafusions, de façon à assurer la diversité des héritages, la créativité de l'instant et la réactivité de la distribution ?
Suez-GDF : le lieu de la création de valeur est bien moins évident. De loin, on voit plus là un ensemble de fiefs productifs (centrales) et distributifs (contrats de concession) qui dégage une rente donc une capacité d'investissement de long terme. Cette capacité devrait logiquement être contrôlée par des mécanismes démocratiques, puisque le marché est myope. Mais la nationalisation a 2 inconvénients :
a) écarter la société de la concurrence internationale (même si celle-ci est très limitée, aux frontières) donc éloigner des éléments d'information du débat démocratique (p.ex. les énergies nouvelles) ;
b) survaloriser les syndicats de salariés, capables de récupérer le pouvoir prétendument donné aux citoyens.
Comment avoir un contrôle démocratique sur les (quasi-)monopoles industriels et serviciels sans qu'ils se transforment en fiefs syndicaux conservateurs ?
Pff. Après cette note de doctrine (banale ?) je dois m'accorder une pause.
Rédigé par : FrédéricLN | 06 mars 2006 à 09:31
FredericLN :
Entièrement d'accord avec vous. Mais, pour bien piler menu quelques idées reçues (avec du gravier gros calibre) je crois utile de souligner que l'immense majorité des emplois du secteur agro-alimentaire ne bénéficient d'aucune subvention européenne (hormis, parfois, pour la mise en urgence aux normes sanitaires, environnementales, et de sécurité de certains installations dans le cadre de concessions faites au progrès (ou au protectionnisme :-) mais n'est-ce pas un peu la même chose ?) par le secteur, mais, oserai-je dire, c'est peu de chose).
Effectivement, dans ces secteurs, c'est bien l'organisation sous la forme coopérative qui garantit l'innovation permanente et ce, pour une raison simple : chaque propriétaire coopérant (et sa famille) sont directement menacés dans leur vécu intime au moindre soubresaut des marchés : l'attentisme, la prudence, et le refus des plans quiquénaux n'interdit nullement l'anticipation, l'ouverture, le débat entre générations de propriétaires coopérants, la mise à profit des compétences parfois très spécifiques de certains coopérants ou des membres de leur famille.
Et je reste intimement convaincu qu'adopter ici une forme classique de gouvernance d'entreprise (avec son conseil d'administration d'incultes cravatés) et une organisation anonyme du capital ne saurait conduire qu'à une chute des performances de l'organisation, et donc, une moindre création de valeur. Rien que pour cela, le fait que cette moindre valeur serait encore moins équitablement distribuée semble même sans grande importance.
Et, oui, le Cluetrain Manifesto s'y lit, et même en anglais : ça peut sembler étonnant, mais, pour vendre hors de la francofrance, baragouiner les langues des clients est parfois utile.
Bon : il est vrai que ce modèle semble de prime abord peu adapté au gaz, je l'admets. Et ce n'est pas le seul secteur dans ce cas : donc, s'il s'agit de surtout chercher à limiter la création de valeur tout en favorisant les meilleurs revenus possibles pour le capital qui, comme chacun sait, n'a pas d'odeur, de tels secteurs sont parfaitement adaptés.
Rédigé par : Gus | 06 mars 2006 à 10:43