Oh, quelle joyeuse symphonie, tous unanimes ! Une petite rumeur, et puis, hop, le grand emballement médiatique. Ca commence par un article, une réaction de politique, puis deux, trois, dix, et ça devient le sujet de quelques jours, avec reportages rappelant le passé récent (ouh les vilains qui ont osé fermer des usines) et l'histoire (ah, Danone, c'est quand même un emblème français, et puis Riboud, quelqu'un de bien). Lancez les violons. Il en va de l'intérêt national.
A désespérer de voir tout le monde s'unir pour lutter contre la reprise par Pepsi, une entreprise tout juste un degré en-dessous de Coca-Cola et McDonald's dans l'échelle de la détestation nationale (qui, étonnamment, suit la courbe de la consommation). Des déclarations d'attachement et de préoccupation, des volontés d'interventionnisme stupides (the best : "Ma conviction, c'est que le gouvernement français n'a pas vocation à regarder passer les trains et à ramasser les morceaux quand il y a de la casse" guess who), qui nient la réalité de ce qu'est aujourd'hui l'entreprise Danone, et qui méconnait largement Pepsi. Enfin.
Au total, tout le monde est content, à court terme :
- les dirigeants de Danone ont fait monter la valeur de l'action, et se protègent, toujours à court terme, contre une OPA. L'hystérie pourrait donner naissance à un noyau dur autour de quelques investisseurs institutionnels français (CDC, Eurazeo...), ce qui arrange certainement le management.
- les politiques donnent l'image d'une réactivité très forte face à un sujet de sensibilité nationale (et pour cause, ils se situent bien en amont de l'action, il ne s'agit après tout que d'une information, manifestement fausse, lancée par le magazine Challenges). Seul Dutreil dénote par une attitude réfléchie.
- les français sont rassurés : le gouvernement est mobilisé, et nous ne nous laisserons pas piquer notre Danone national ("quoi, il n'est pas à nous ? Ce n'est pas une boite publique ? Nationalisons !!"). Ces salauds d'amerloques ne piqueront pas nos yaourts (merde alors, ils sont en train de nous piquer nos outils).
Michel a des mots clairs et rationnels, que je partage. Sur ce coup, je n'en peux plus, et serais sans doute beaucoup plus amer. Tant de précipitation dans l'arène, de course à la citation qui montrera le plus patriote, c'est médiocre. Mais, quand même, ça fait un peu peur, cette réthorique nationaliste qui enfle.
Que la vie économique soit toujours traité, au moins partiellement, sous l'angle de la compétition internationale, c'est classique, même si faux et peu efficace. Mais l'énormité de cette affaire est révélatrice d'une position particulière de la France dans cette guerre fantasmée. Quand Pernod-Ricard se paie Allied-Domecq (reprise du cognac courvoisier dans les terres de France, et annexion de l'emblématique gin Beefeater, quand même !) on ne dit rien, on n'en parle pas, on s'en fout. On bombe un peu le torse qu'on a Carlos Ghosn qui fait la leçon aux niakwés de là-bas, mais, à la vérité, ce serait presque un traitre, de partir, non ?
En revanche, quand Pepsi pourrait éventuellement menacer de reprendre un groupe qui n'emploie qu'un peu plus de 10% de ses salariés en France, on crie haro, halte, ous aux remparts !
Cette affaire nous rappelle que la France est, de plus en plus, dans sa représentation collectif, son imaginaire, dans la position d'un pays assiégé, en défense, qui se replie sur son lebensraum, et veut ériger des barrières. Et celà, oui, je trouve ça très inquiétant.
Rappelez-vous ceci : nous sommes dans un fort assiégé. Les étrangers menacent notre emploi. Heureusement, nos politiques sont dans le donjon. Regardez, ils nous montrent qu'ils se battent pour sauver cette belle et jeune pucelle emblématique du village !
Stop, on se réveille ?
Et ces dirigeants qui ne restent dans le donjon, exhibant une jeune pucelle emblématique, en disant qu'ils vont la sauver, je n'y vois qu'une diversion, pour mieux rester tranquillement où ils sont.
ben, malgré tous ces croisés, le fort tombera comme en 1453
Rédigé par : MC | 21 juillet 2005 à 20:41
Je suis en grande partie d'accord avec toi et avec le dit Michel dont l'analyse de l'emballement médiatique et politique autour de cette rumeur me parait effectivement particulièrement pertinente.
Le plus drôle pour moi dans cette affaire c'est de voir que les réactions les plus vives sur un pseudo interventionnisme d'Etat provienne de droite! En miroir, la déclaration de Jospin sur l'impuissance du politique devant certains faits économiques il y a quelques années montre à quel point il peut être difficile pour un électeur lambda, en particulier de gauche, de s'y retrouver dans ces (faux) discours!
Cependant, encore une fois, pourquoi voir derrière cette réaction de notre classe politique, ici comme sur le blog de M. Photoways (au passage, j'ai été stupéfait du lien A propos de l'auteur sur le blog, une telle identification à son entreprise me fait prendre conscience que décidemment, je n'aurais jamais l'âme d'un entrepreneur), la nième preuve du ringardisme, du chauvisme, du repli de la France. Je suis prêt à mettre ma main au feu que si par exemple, en Allemagne, Volkswagen ou Siemens étaient menacé de passer sous contrôle d'un étranger, ou encore aux Etats-Unis, n'importe quelle firme d'intérêt stratégique ou symbolique (je crois me souvenir dans l'actualité récente d'une polémique outre-atlantique sur une société pétrolière en passe d'être rachetée par des chinois, ou plus anciennement, les peurs américaines autour des prises de controle par des capitaux japonais d'entreprises américaines, qui a inspiré le livre puis le film Soleil rouge), les réactions seraient identiques, voire pire. Danone, quel que soit aujourd'hui son capital, la part de ses activités en France, son nombre d'employés en France, reste une entreprise avec son centre décisionnel en France, avec sa r&d en France, une entreprise française dans l'imaginaire collectif. C'est un symbole et le politique se nourrit aussi de symbolique. En ce sens, le discours sur l'actionnaire qui ponctue la démonstration du sieur Michel me semble cruellement réducteur. Non, il n'y a pas, y compris chez un actionnaire et a fortiori chez un dirigeant d'entreprise, que les critères économiques qui ont de l'importance. Riboud l'a sûrement très bien compris, sentant la menace éventuelle d'une OPA hostile. C'est une preuve d'intelligence. Et il est certainement aujourd'hui le premier bénéficiaire de cette "rumeur".
Rédigé par : Krysztoff | 21 juillet 2005 à 22:21
Je suis un peu dans la meme situation que vous tous. Je reste un peu pantois devant tant de chauvinisme et je ne sais plus trop qui a raison et qui a tord.
Par contre, je ne suis pas sur que le fort tombera comme le dit Michel. Danone est quand même très bien protégé et l'opération si elle a lieu prendra beaucoup de temps.
La peur de l'étranger nous empeche de penser !
Rédigé par : Scalp' | 21 juillet 2005 à 22:42
Il y a quand même une donnée qui est sous-estimée dans cette affaire : si danone devient américain, ils vont prendre moins de stagiaires dans les écoles de commerce non ? Et ca fera moins de carrières dans le marketing - parce que bon les derniers emplois de danone en France c'est quand meme des cadres non ?
Plus sérieusement, c'est une bête histoire de noyaux durs qu'on n'a pas voulu privilégier - le capital 100% (ou presque) flottant c'est génial, racheter des actions pour faire monter la cote c'est top, et les OPA hostiles, heu, ah non c'est déguelasse. Bah. Et bien sûr le chauvinisme qui ne mange pas de pain fait le reste.
Rédigé par : Guillermo | 22 juillet 2005 à 00:29
En France, dès qu'on touche à la bouffe c'est le psychodrame ; mais ne sous-estimons pas les réactions nationalistes épidermique, en nous souvenant de l'action du gouvernement Suédois qui avait, au dernier moment et contre toute attente, fait échouer la reprise de Volvo par Renault.
Rédigé par : all | 22 juillet 2005 à 09:33
Je suis peut-être idiot mais je préfère que Danone conserve le maximum possible d'actionnaires français ou européens.
Je préfère que la stratégie du groupe soit définie à Paris ou au minimum en Europe plutôt qu'aux Etats-Unis.
Je préfère que le gouvernement français, l'administration, conserve des moyens de pression sur le groupe, plutôt que de voir ces moyens de pression être transférés au gouvernement américain, ou pire encore, de voir ces moyens de pression publics disparaître totalement.
Ce qui inquiète dans l'affaire Danone, c'est de voir que du pouvoir de décision quitte le territoire national ou européen, pour être transféré à des capitalistes américains ... ou pire encore, à des capitalistes non identifiables, sur lesquels plus aucun Etat n'a de prise.
Rédigé par : laubart | 22 juillet 2005 à 10:18
Krysztoff :
- Pour le "à propos" de Michel, ça s'explique très simplement par le fait que l'adresse est partagée avec le blog "officiel" de photoways (photowaysien.com), c'est tout.
- Sur les US/Chine, c'est assez comparable. Des économistes pourtant auparavant acquis à la cause internationale, et qui expliquaient dans les années 80 et 90 qu'il fallait arrêter de délirer avec le Japon, expliquent que, cette fois, c'est différent (Krugman). Je ne suis pas sur de les suivre.
- Pourquoi une n-ième preuve du "ringardisme", repli, chauvinisme, etc... ? Mais ce n'est pas un procès à charge ! Je constate que nous aimons de plus en plus nous faire peur avec l'étranger, nous monter la tête avec des méchants, etc... Les rachats d'entreprises stratégiques US par des chinois sont de l'ordre de la réalité, ici, on est bien dans le fantasme collectif.
laubart : moi aussi, je préfère que Danone reste à management français (ses actionnaires sont déjà majoritairement étrangers), que la stratégie du groupe soit à Paris, etc... Je suis sur que les britanniques péféraient qu'Allied Domecq reste sous pavillon de sa majesté, aussi. La question est : comment fait-on pour faire en sorte de disposer de grands groupes leaders non-opables ? Et à quel prix ?
all : je ne suis pas naïf. Je sais que tous les pays ont l'impression d'avoir un intérêt à protéger quelques entreprises clefs et emblématiques. Mais je me rapprocherais plus de la vision britannique, qui, par exemple, a une industrie automobile importante, sans aucune entreprise "nationale". Ca tourne, même si ça ne flatte pas l'ego.
Rédigé par : versac | 22 juillet 2005 à 11:46
Le plus drôle, c'est que c'est le père de l'actuel PDG, Antoine Riboud, qui a inventé l'OPA hostile, lors de son raid manque pour BSN contre SAINT GOBAIN !!
Et puis, 92 % du capital de cette boite est public : quand on veut rester aux manettes, on garde la maitrise du capital, mais on ne peut pas durablement et diriger et ne pas avoir le contrôle majoritaire
Rédigé par : | 22 juillet 2005 à 14:43
La classe politique a fait preuve d'un ringardisme fou.
Moi je m'en bat un peu l'oeil de savoir si Danone est sous contrôle français ou yankee.
Ce qui m'interesse c'est ce qu'elle fait, ses produits, ses prix et le traitement des salariés.
Rédigé par : socdem | 22 juillet 2005 à 17:39
laubart: les moyens de pression dont dispose effectivement un gouvernement national sur une entreprise qui ne fait guère que 22% de son C.A. dans le pays tout en employant moins 20% de personnel de ce pays (50% de management inclus) sont finalement très limités. Même le dernier fonctionnaire d'état sait mesurer combien d'emplois industriels représente une entreprise sur son sol, et à quel position dans le "classement" se situe telle entreprise dite "nationale".
A l'inverse, au vu des faibles capacités de production dont dispose ce groupe dans ce pays par rapport à celles dont elle dispose dans d'autres pays, le chantage à la délocalisation ne fonctionne plus guère.
De ce fait, la difficulté pour Danone est plutôt d'être considéré comme une entreprise nationale par le gouvernement dudit pays que d'espérer que le gouvernement de ce pays puisse avoir quelque influence que ce soit sur un groupe qui a très majoritairement délocalisé son outil de production et sa logistique.
Mais il est vrai qu'en politique, ce qui coûte le moins cher, ce sont les promesses : autant être généreux dans ce domaine, puisque le reste sera invariablement considéré comme trop cher. Dans son ensemble, je doute que le corps électoral tienne quelque rigueur que ce soit à un homme politique pour ne pas tenir de promesses envers une multinationale.
Rédigé par : Gus | 22 juillet 2005 à 18:28
heu, une remarque technique : le commentaire que j'ai écrit hier aparait sous un autre non, et mon nom sous un autre commentaire, celui d'apres. Etrange (la faut a la finance mondialisée ?)
Sinon en effet, pas d'autocontrole = pas de planque ; ils auraient du garder les actions qu'ils ont racheté et détruites pour augmenter le BNPA. (c'était peut etre pas assez, mais c'etait un début).
Rédigé par : Guillermo | 22 juillet 2005 à 22:38