Un lecteur m'a récemment demandé quel était mon avis sur la réforme du système de santé, et particulièrement sur le manifeste qui circule sur internet, et tombe d'ailleurs dans les premiers résultats de google sur les mots-clefs choisis : La contre-réforme du système de santé : un tissu de mensonges.
J'avoue être très limité sur le sujet du système d'assurance maladie. Je ne suis pas un homme politique, et je n'ai pas, tel un Copé magique, plein de recettes toutes prêtes sur tous les sujets. En revanche, je sais reconnaître un bon texte d'un mauvais. Ce manifeste me semble à coup sûr relativement mauvais, car hyper-orienté, critiquant des intentions cachées et pas des faits, alors même qu'il pointe des sujets importants et légitimes.
Pour le système de santé, je trouve que Claude Le Pen est un bon spécialiste, modéré mais profondément réformiste, et qui me semble proposer en général des solutions plutôt viables. Je peux me tromper. On peut lire de lui un rapport, qui constitue la troisème étape de la réflexion de l'Institut Montaigne sur le système de santé. C'est plutôt synthétique, ça fait 22 pages, et ca rejoint à peu près ce que j'imagine qu'il faudrait faire.
Pour le médecin traitant, je pense qu'on est loin de la mère des réformes comme de celle qu'on peut accuser de tous les maux. Je vois dans le texte décrit ci-dessus les symptômes d'une négociation ratée. J'ai d'ailleurs du mal à comprendre le jeu des acteurs de la négociation, et je vois surtout l'incapacité du gouvernement à sortir par le haut, de manière coordonnée, de chaque brique de négociation. On revalorise tous les ans une prestation, les généralistes ici, les spécialistes là, les actes infirmiers, etc... De manière parcellaire. Et on demande, sans intégrer ces différents actes dans une stratégie de négociation continue, des efforts importants aux généralistes, sans les rémunérer.
Qu'est-ce que la réforme du médecin traitant ? Grosso modo, c'est la possibilité (laissée libre) de choisir un médecin de référence. Si on passe par lui, les remboursements seront meilleurs que si on va directement voir n'importe qui. Le système reste libre, mais est incitatif à aller voir un médecin de référence. Notons que ce dispositif existait déjà, de manière relativement réduite et sur une base un peu différente, avec le médecin référent, qui indemnisait mieux, semble-t-il, les généralistes pour ces tâches continues.
Que contestent les médecins signataires du manifeste ? Principalement l'absence de rémunération de la charge administrative induite par la réforme (je suis médecin traitant, il faut que j'envoie des papiers ici ou là, j'ai un travail de fond, continu). On ne peut que les suivre, mais pas juqu'au bout. Ils disent que les généralistes ne pourront faire fonctionner le système (qu'ils semblent approuver en principe), vu qu'ils ne seront pas payés pour celà. Et accusent le gouvernement, qui aurait signé avec les seuls syndicats de spécialistes, de vouloir délibérément montrer que ça ne marche pas (et là, j'ai du mal à les croire).
Nous avons des (syndicats de) généralistes, la base du système de santé, qui ont fait des efforts très lourds ces dernières années (génériques, informatisation, formation...). Ils n'acceptent pas cet accord signé par les syndicats de spécialistes, qui serait à leur seul avantage.
Là où je diverge, c'est sur la suite du texte, qui fait tout de suite entrer ceci dans la logique de la lutte des classes, qui serait dans la logique ultra-libérale, qui voudrait faire de la santé une marchandise... Le généraliste serait le prolétaire, le spécialiste l'élite bourgeoise. Cette réforme n'offrirait aux généralistes "aucune perspective hormis le course à l'acte, nez sur le guidon". Elle ouvrirait la voie à "un accès aux soins dépendant des revenus". Je crois qu'on lui en fait trop porter.
En fait, ce qui est en débat, c'est aussi une vision du mode de paiement des généralistes, de la reconnaissance de leur statut charnière. Les syndicats veulent sortir du paiement à l'acte, qui ne favorise pas la prévention, ne valorise pas les tâches continues de suivi, et entrer dans une logique de quasi-salariat. Je ne suis pas contre, mais pas de manière intégrale. La prise en compte de ce rôle de mini-hopital qu'est le médecin généraliste doit se faire de manière proportionnée.
Je pense que les excès et la vision caricaturale qu'offre ce texte dessert le fond, qui est sans doute assez légitime. Je suis preneur d'informations et de contre-argumentation sur ce sujet.
Merci pour le lien sur le rapport de Claude Le Pen. Ca parait effectivement viable, realiste et perenne, tout en conservant un niveau d'acces aux soins pour tous satisfaisant.
En vivant a l'etranger je me suis rendue compte que j'ai toujours vecu en France dans la douce certitude que j'aurais acces a tous les soins possibles et imaginables pour ameliorer mon etat de sante quelqu'il soit et quelque soit l'etat de mon portefeuille. Quelquechose dont je n'avais pas a me soucier.
En vivant dans un pays beaucoup plus liberal, j'observe la reaction des gens a la maladie, qui en plus d'une inquietude normale est renforcee par un gros stress financier. Ou meme une decision de ne pas se soigner parfois et de vivre avec un leger handicap (un mauvais genou, des dents en moins, un dos en compote) qui serait regle facilement a coups de quelques milliers de dollars chez un bon specialiste. Il y a egalement une autre grosse difference. En France, comme c'est rembourse en grande partie, les gens font de la prevention. Suivi regulier gyneco, des yeux, de la peau, et j'en passe par un specialiste regulierement, surtout pour les femmes. Ici on va chez le medecin quand on est presque a l'agonie, quand le cout le justifie pleinement. Resultat? Un taux de mortalite par cancer des plus eleves parmi les pays occidentaux. Ben ouais, les filles de mon age qui n'ont pas eu d'enfants, elle n'ont jamais eu un examen gyneco de leur vie! Idem pour le dentiste tant qu'on n'a pas un gros chicot (ou un gros gros porte moannie). Moi ca me sidere!
Rédigé par : Maurine au bout du monde | 26 janvier 2005 à 23:23
UNE RÉFORME EN TROMPE-L'ŒIL
Trompe-l'oeil : peinture visant essentiellement à créer par des artifices de perspective, l'illusion d'objet réel en relief.
Figuratif : apparence trompeuse, chose qui fait illusion Dictionnaire Le Robert
On nous a longuement préparé à une réforme de la Sécurité Sociale, on sait que le déficit de l'Assurance-maladie se creuse, chacun s'est résigné à quelques changements surtout que l’on nous explique que ce n'en sont pas : qui n'a pas de médecin traitant ? Qui n'a pas un euro ? Qui en voudrait aux spécialistes de se mobiliser pour une augmentation tarifaire jugée légitime par tous ? Qui refuse d'être mieux soigné grâce un Dossier Médical Personnalisé ?
Mais derrière ce qui apparaît comme des réformes pleines de bon sens, se cachent des transformations beaucoup plus radicales difficiles à décrypter dans le texte opaque du protocole d’accord signé en janvier : c’est une privatisation du risque maladie qui touchera durement les populations à bas revenus, et n'épargnera pas les classes moyennes. Jusque là la succession des plans de rigueur : augmentation du forfait hospitalier, déremboursements de médicaments, a pu être amorti pour ceux qui avaient une assurance complémentaire, mais la loi du 13 août 2004 entrée en vigueur en janvier 2005 avec ses mesures nouvelles, consacre le désengagement de la Sécurité Sociale.
Il est temps de montrer l'envers du décor et d’expliquer les conséquences de ces nouvelles mesures.
L'accès aux soins facilité : une illusion
La suppression du libre accès aux spécialistes est présentée comme un progrès visant à augmenter la cohérence et la qualité des soins tout en enrayant l’inexorable glissement vers la faillite de l'Assurance-Maladie. Derrière ce discours se cache une réalité tout autre qui ne peut se satisfaire de l'image commode de médecine à deux vitesses, c'est bien plus grave et profond. Il s'agit d'une transformation radicale de l'assurance-maladie et de l'idée de la gratuité des soins.
Sous la bannière de la responsabilisation on fait payer à tous un euro, on joue sur une pièce, c'est-à-dire rien, sur l'unité « un », c'est-à-dire presque rien, pour habituer à cette mesure. L’exemple du forfait hospitalier passé progressivement de 3,05 € à 14 €, avec une projection à 16 € à 2 ans, devrait pourtant nous alerter.
Un parcours coordonné autour d’un diagnostic, un suivi de pathologie chronique prise en charge par l’ALD, des soins pour un accident du travail, peuvent nécessiter plusieurs fois un euro, en consultations, en examens complémentaires, qui ne seront pas pris en charge par les assurances complémentaires.
Le forfait consultation, la disparition de la dispense d'avance de frais, les dépassements d’honoraires, autant d'éléments qui vont entraîner le renoncement aux soins des personnes à bas revenus. En augmentant le coût pour tous les autres, on barre l’accès aux soins pour la partie de la population située au-dessus du seuil de la CMU, qui n’a pas les moyens pour s’offrir une complémentaire.
Il ne s'agit donc pas d'opposer deux vitesses, mais bien d'opposer l'accès et le non accès aux soins en fonction des moyens financiers et sociaux.
La coordination des soins : un artifice.
La fonction de médecin traitant fleurit sur les ruines de celle du médecin référent, l’un devient un quasi synonyme pour médecin de famille, l'autre était une fonction supplémentaire reconnue comme telle et ouvrant droit à la dispense d'avance de frais pour les patients qui souscrivaient à cette formule et qui est appelée à disparaître : cette suppression de la dispense d’avance des frais diminuera de fait le recours aux soins.
Sous prétexte de revaloriser le médecin généraliste, on réduit son rôle à du dispatching pour ceux qui auront recours à la coordination des soins, car ne l'oublions pas, il n’y a là aucune obligation, il suffit de payer les spécialistes, avec peut-être l’idée que le plus cher est le meilleur ?
Mais l’essentiel de cette coordination repose sur l’obligation faite au médecin traitant de bien enregistrer tous les actes sur le Dossier Médical Personnel (DMP) avec les nouveaux codes issus de la Classification Commune des Actes Médicaux et bientôt des Actes Cliniques (CCAM et CCAC) : le DMP permettra aux assureurs privés de refuser de prendre en charge les personnes trop malades, trop coûteuses en rendant clair tout le suivi et toute la pathologie puisqu’à chaque acte correspond un code très précis qui sera soumis pour le remboursement.
Ainsi ce DMP est un véritable subterfuge.
La revalorisation des honoraires des spécialistes : une réalité.
Tout le monde comprend et approuve une augmentation tarifaire pour les spécialistes, mais qui peut dire exactement le montant de cette augmentation ?
Car très vite le réel de cet revalorisation échappe à l'entendement et se voile d'une multitude de variantes possibles, (C2, MPC, Maj. de coordination), le point commun étant la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires définis pour tous, quel que soit le secteur, à condition que le parcours soit non coordonné pour le secteur 1, et dans tout les cas de figure pour le secteur 2.
Soulignons également les revalorisations non dites au travers de la CCAM qui évalue le coût du travail lié à la difficulté de l’acte et à sa répercussion sur les charges financières…
Avec toutes ces dispositions, on imagine la tentation pour certains de donner priorité aux patients non coordonnés, façon d'augmenter leurs revenus grâce à des dépassements d’honoraires définis pour le secteur 1 et laissés à libre appréciation pour le secteur 2. Bien sûr les spécialistes se sont engagés à assurer des délais de prise en charge identique pour tous, mais les dérapages ne sont pas à exclure et aucun moyen n'est donné pour les contrôler, et ce qui ce passe déjà à l’hôpital entre secteur public et privé ne laisse rien présager de bon.
Des mesures pour combler le déficit de la Sécu : une mystification.
Alors que l'on dit espérer un milliard d'économies en 2005, le législateur reste silencieux sur le coût de l'augmentation tarifaire des spécialistes. Mais qu'importe ! Car ce qu'il convient d'imposer, ce n'est pas la réduction des dépenses mais celle des remboursements. À bas bruit, se développe un modèle radicalement différent de celui que nous connaissons, un partage s’opère progressivement : le secteur public pour les indigents qui auront droit à l'assistance de l'état, pour les autres les assurances privées en fonction de leurs ressources. Ces assurances complémentaires sont amenées à abaisser leur niveau de garantie, et à augmenter une nouvelle fois leurs tarifs. Elles pourront même moduler leur contrat en fonction de ce qui leur paraîtra « vraiment utile » comme dépense de santé…
Pour sauver l'assurance-maladie, on la fait disparaître. Cette fin annoncée d'un système fondé sur la Solidarité, ne semble pas émouvoir tant le tour de passe-passe est bien réussi, l'illusion est complète...
Rédigé par : Elisa | 25 mars 2005 à 00:04