Sur la tragédie de Beslan, sur la Tchétchénie, la seule posture qui me semble possible est celle de Glucksmann dans a tribune du Monde ("La route de l'apocalypse passe par Beslan") :
1- "Beslan est la plus folle prise d'otages de l'histoire". Il faut d'abord rappeler que ceux qui osent ça oseront tout. Et que nul ne sait s'ils sont tchétchènes ou pas, et d'ailleurs, quelle importance ?
2- "Face à ce commando nihiliste, que rien ni personne ne saurait excuser, justifier, comprendre, et surtout pas moi, il y a l'autre composante du chaos, Poutine et ses "forces de l'ordre" qui ont "libéré" un gymnase bourré d'enfants à coups de fusils-mitrailleurs et de lance-flammes." Le FSB et Poutine avec lui est bien l'héritier de la Tchéka, méprisant au possible du matériel humain.
3- Il y a enfin la question de la Tchétchénie et de notre attitude à nous, occidentaux, qui sommes "partie prenante de ce désastre", puisque "Pas un gouvernement occidental n'a osé interroger le palmarès d'un pompier pyromane ". J'apprécie en la matière particulièrement la petite réflexion sur le rôle des deux "camps" internationaux :
Rappelons que la question de l'Irak a vu s'affronter "deux visions du monde". Paris et le "camp de la paix" affirment que le terrorisme est fils de la guerre qu'il faut à tout prix éviter. Washington et ses alliés proclament que l'oppression est cause du terrorisme, la liberté étant mère de la paix : une guerre en son nom peut s'avérer nécessaire.Il est plus qu'urgent de retenir Poutine par la manche en lui expliquant, côté Paris, que sa guerre, côté Washington, que sa terreur engendrent le chaos nihiliste.
Comment accepter en effet l'attitude conciliante de Paris et Washington à l'égard de Poutine ? Surtout au vu de la hauteur morale de leurs ambitions affichées...
Dans sa conclusion, on sent poindre son énervement anticipé devant la réponse habituelle aux tenants de la real-politique des "Machiavel de sous-préfecture"...
Toujours dramatique et grandiloquent, Glucksmann n'en dit pas moins la vérité. La seule possible dans cette histoire ?
Je pense que c'est là, bien sûr, une vérité, donc elle ne vaut que ce qu'elle vaut.
On en est quand même à la deuxième guerre en Tchétchénie. Je crois que cette "histoire" est éminament complexe. Glucksman a beau jeu de vilipender les tenants "d'une realpolitik de préfecture", je suis de ceux qui pensent — naïvement peut-être — que la Russie ne pouvait se séparer de la Tchétchénie en 1991, risquant alors un démentèlement qui l'aurait peut-être mise sur les genoux (ou plus bas que terre).
Après, je ne cautionne évidemment pas ce qui y a été commis depuis. Notons qu'il existe des Tchétchènes "pro-russes" et que leur dernier représentant a bénéficié d'un "traitement de faveur" de la part de Chamil Baisaïev.
Que faire contre Poutine ? C'est ça la question. Évidemment, il brandit à tours de bras la question islamiste, la thèse fort opportune selon laquelle (idée qu'il n'est pas le seul à défendre, d'ailleurs) le nord-Caucase serait désormais le centre géographique et quasi-névralgique du terrorisme islamiste international.
Bref, ça fait une décennie que dure cette guerre, ça fait une décennie que certains s'insurgent. D'autres viennent tout juste de se réveiller pour crier au loup : en tous cas, le mal est fait depuis longtemps.
P.S. : On loue aussi à l'envie ce "tempérament tchétchène", cette glorieuse inclination à la résistance… On crée des mythes pour le moins… déplacés.
Orientation bibliographique : «Hadji Mourat», de Tolstoï (qui a longuement "pratiqué" la région au XIXe), paru récemment en Folio. Intérêt littéraire assez faible à mon goût, mais valeur documentaire cependant.
Rédigé par : skoteinos | 15 septembre 2004 à 16:24
Ici (Russie) comme ailleurs (Irak, Turquie, Israel, Egypte... la liste est longue), les américains et européens font le même calcul.
Il vaut mieux quelqu'un pour "contenir" les "fauteurs de trouble de l'ordre existant en place" que "rien". Et peu importe que le remède puisse devenir tôt ou tard pire que le mal.
Lu rapidos ce matin un commentaire : la barbarie des terroristes aujourd'hui en dit long sur l'épuisement total des possibilités de résistance dont ils disposent.
Ce n'est pas seulement le refus de solutions politiques, ou de compromis sociaux ou économiques échangés contre une forme de sujétion à un ordre donné du pouvoir.
C'est un phénomène de désaculturation total qui finit par favoriser l'émergence de ces nouveaux barbares.
On n'arrête pas le progrès, mais parfois il faudrait.
Rédigé par : 2u | 15 septembre 2004 à 16:40
beau texte passionné et pessimiste de Glucksmann je trouve...nous (occidentaux, européens) n'avons tenu aucune leçon de l'Histoire...
Ce que raconte Glucksmann sur la guerre en Tchétchénie frise le génocide pur et simple...
Rédigé par : jean-sébastien | 15 septembre 2004 à 19:30
le papier de Berezovski, juste au-dessus, dans un registre moins lyrique, était aussi très intéressant, parce que provenant d'un Russe viscéralement hostile à l'indépendance de la Tchétchénie (parce que...après, c'est le Tatarstan, l'Ingouchie etc) mais expliquant qu'un compromis est possible avec Maskhadov....que tout le monde s'emploie à diaboliser, au nom de l'existence du Grand Terrorisme. On s'éloigne hélas à grands pas de l'idée que BB défend et présente par acceptable par toutes les parties, d'une autonomie élargie de la Tchétchénie au sein de la Fédération.
Rédigé par : zvezdo | 15 septembre 2004 à 19:42
Tout à fait, zvezdo. Ce qui est étonnant, c'est que tous les "hommes de bonne volonté" semblent tomber d'accord sur le fait que Maskhadov pourrait être la cheville d'une solution. Mais les parties en présence semblent s'ingénier à le sortir. Beaucoup se satisfont de ce type de solutions de crise... En sortir signifie l'acceptation d'erreurs, et le renoncement à des engagements passés. C'est ce qui fait la force des grands que de savoir évoluer. On a affaire à des petits par ici.
Rédigé par : versac | 16 septembre 2004 à 09:30