
Il fait nuit quand la BX blanche de Mon Cher et Grand-Maman se gare enfin devant la haie verte et rose. Mon Cher a à peine coupé le moteur qu'il a ouvert la portière, il sort de l'auto et nous ordonne en s'éloignant d'un bon pas Chaque enfant sort sa valise et l'amène devant la maison. Puis vous aidez votre grand-mère avec le reste des bagages. Je suis encore barbouillée du long trajet depuis Versailles, serrés à trois à l'arrière de la BX avec Jonathan, mon petit frère de 7 ans et Jean-Ferreol notre cousin de 5 ans 1/2 - 7 heures confinée avec eux à l'arrière et nos grands-parents à l'avant qui attendaient que l'on soit sages. Je ne suis pas mécontente d'arriver, même si j'ai une grosse flemme de m'extirper de l'habitacle, une grosse flemme à la perspective de toute cette activité qu'il va falloir déployer pour nous installer - ma propre part et faire en sorte que les garçons fassent la leur.
Les graviers de la cour crissent sous les Rangers de Mon Cher, sous les baskets des deux garçons qui s'éparpillent en criant. Ils ont déjà oublié qu'ils devaient sortir leurs bagages. Grand-Maman soupire et ouvre sa portière, elle sort une jambe précautionneuse, puis l'autre, allez allez, moi aussi je dois sortir et m'activer. Au fond de la cour, j'entends Mon Cher ouvrir la porte de la cuisine - la clé argentée dans la serrure, le volet bleu marine, lourd, en bois, qu'il dépose avec précaution sur le côté de la maison. Je me penche vers le coffre, c'est lourd à attraper une valise au fond du coffre. - Les garçons, venez m'aider ! les garçons ! je m'époumone. - Tu parles, ils sont déjà au fond du jardin, sourit ma grand-mère avec indulgence. Elle se dirige à pas précautionneux vers la maison en portant un mini sac, Je vais lancer le dîner. Un à un j'extirpe les sacs et paquets, valises, du coffre, le sac contenant mes affaires est vert olive, je l'attrape avec l'un des paquets de ma grand-mère et les pose devant la deuxième porte, celle qui mène au grenier. - Attends, j'arrive, je viens t'ouvrir, dit Mon Cher depuis la fenêtre du salon grande ouverte ; il repousse les volets, les fixe de chaque côté avec le bitonio en métal, referme la fenêtre - et j'entends ses pas sur le parquet, la porte qui s'ouvre, se referme, et le voilà qui déverouille la deuxième porte. - Ils sont passés où, les galopins ? me demande-t-il. Avec mon bras, je lui montre l'immensité du jardin obscur. Les garçons, puisque vous êtes dehors, ramenez moi donc du petit bois pour le feu !
La maison est glaciale. Grand-Maman nous a rejoint dans l'entrée. - Viens, je vais te donner les draps pour vos lits. Tu les poseras dessus, et puis on les fera après le dîner. C'est presque prêt, j'ai fait réchauffer une brique de soupe aux vermicelles. Elle ouvre le placard, je suis saisie par l'odeur d'humidité. Les trois jeux de draps qu'elle me tend, trois draps du dessous, trois draps-draps et trois taies d'oreillers, sont humides, après 6 mois passés dans la maison fermée. Les bras chargés, je monte l'escalier en bois qui monte au grenier - mais auparavant, j'ai pris la précaution d'appuyer sur tous les interrupteurs. Au bout de son fil blanc, la lampe-rascasse me sourit de toutes ses dents pointues. Sur le palier lambrissé, je retrouve la bibliothèque basse remplie des livres de Mon Cher, des grands livres, épais, dont certains ont été reliés par lui et recouvert de tissu vert, de tissu rouge. C'est là qu'il range les 52 Contes du Monde Entier, qu'il nous lit le soir autour de la cheminée.
Je monte les trois dernières marches peintes en bleues, pousse la porte peinte du même bleu, elle grince, et avant d'entrer, depuis le seuil, je tâtonne vers la gauche pour trouver l'interrupteur rectangulaire. Ouf, ça s'allume. La pièce lambrissée, mansardée, apparait, avec ses 4 lits, les deux lucarnes tendues de rideaux rouges, les posters de chevaux collés par ma grande cousine Diane. J'espère que rien ne se cache dans le fond obscur, derrière le paravent en paille, du côté du lavabo. La pièce est froide, on va se cailler cette nuit, même avec nos deux couvertures. Et cette odeur de bois, de poussière, que je n'ai sentie qu'ici... Les garçons me rejoignent à grand bruit. J'ai déjà choisi mon lit, le long du mur du fond. Les garçons se chamaillent pour la forme, pour savoir qui aura le lit accolé à l'autre mur. Jean-Férréol a gain de cause. Mon frère, bon perdant pour une fois, pose son éléphant en peluche sur le lit du milieu. - Je serai à côté de toi, ma Titi, me dit-il en souriant.
Je pose un tas de draps sur chaque lit, et me garde mon drap housse préféré, en vichy bleu et blanc. Ils s'en fichent, les garçons, dans quels draps ils dorment. Le grenier est au dessus du salon-salle à manger ; les lattes du plancher ne sont pas complètement jointoyées, on entend Mon Cher qui s'affaire, ses pas sur le parquet, la porte de communication vers la cuisine qui s'ouvre, qui se ferme, qui se rouvre et se referme, il nous appelle, - Les enfants, venez mettre le couvert ! Nouvelle cavalcade des garçons qui ne se font pas prier pour une fois, - On meurt de faim ! crie Jean-Férréol. Avant de descendre, je pousse le curseur du petit radiateur de 30 cm sur 40 en position 6. Tout à fait symbolique, ce radiateur. Je vais dormir avec mon chandail. Et mes chaussettes.
Mon Cher a allumé un feu. Le dîner - soupe aux légumes sortie d'une brique, nouilles au beurre et yaourt nature au sucre - est vite expédié. Au moment du pliage de serviettes, Mon Cher nous annonce - Bon les enfants, j'ai conduit toute la journée, alors ce soir c'est quartier libre pour moi et pour vous. La lecture des contes, ça commence demain. Ce soir, je vais lire tranquillement mon livre à moi au coin du feu. Vous aidez votre grand-mère à débarrasser la table, vous vous mettez en pyjama et si vous êtes capables de vous tenir tranquilles, vous pouvez rester un quart d'heure devant le feu avec nous. On débarrasse. Jonathan et Jean-Fé portent deux verres et filent au grenier. Une fois la nappe secouée dehors, je reste avec Grand-Maman dans la cuisine. Je suis assise sur un tabouret et la regarde travailler, elle lave les casseroles, nettoie la gazinière, sort de dessous l'évier le flacon jaune vif de Cif et en pose une noisette sur l'éponge pour faire partir les tâches. Quand la cuisine est assez propre à son goût, Grand-Mam remplit d'eau le grand faitout de pâtes et le pose sur l'un des brûleurs noirs. Elle tourne le bouton correspondant, sort une vieille boîte d'allumettes du placard, l'allume. - Tu fais quoi ?, je lui demande. - Attends-moi là, je reviens tout de suite, me dit-elle en souriant avec malice. Elle sort de la cuisine.
Toujours assise sur mon tabouret, je l'entends ouvrir et fermer l'armoire de leur chambre, mitoyenne à la cuisine. Grand-Mam revient les bras chargés de quatre objets rectangulaires, recouverts d'un tissu fleuri gris et prune. - Qu'est-ce que c'est ? je lui demande. Elle me tend l'un des rectangles - il y en a quatre. La matière est molle à l'intérieur de la housse en tissu est molle, souple. Je regarde à l'intérieur - un trou en métal me regarde. - Qu'est-ce que c'est ? je lui demande à nouveau. L'eau, dans la casserole, se met à frémir. - Ma chérie, tu vas passer ta première nuit avec une bouillotte !
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