Le coeur et la raison
Chère Christie,
J’étais en train de commencer ce matin mon billet pour vous quand j’ai lu celui de Lola. Elle énonce mieux que je n’aurais su le faire et avec infiniment plus de diplomatie des raisons de vote qu’avec elle je partage, tant en faveur de Ségolène Royal que parce que la droite dure et populiste incarnée par Nicolas Sarkozy me fait craindre et pour la marche ultérieure du pays et pour nos libertés quotidiennes.
Que penser en effet d’un homme tellement nerveux et irritable qu’il ne passerait sans doute pas les tests draconiens de recrutement que la plupart des entreprises de nos jours infligent aux candidats à l’embauche de postes subalternes, et qu’on a déjà vu à l’oeuvre de façon très périlleuse comme ministre de l’intérieur ce qu’il se garde bien de rappeler alors qu’il le fut par deux fois en 2002/2004 puis à partir de mai 2005 (1) jusqu’au moment où un candidat à la présidentielle ne pouvait plus se permettre de ne pas démissionner ; qui, entre autre, met tellement les médias sous pression qu’à quelque jours du second tour on peut lire dans le Canard Enchaîné (2) au sujet d’un débat qui n’a pu être télévisé que sur une chaîne de la TNT, « France 2 et France Inter se sont fait peur tout seuls » et qui comme argument massue d’un meeting d’entre les deux tours, ne trouve rien de mieux à asséner qu’une longue liste de forfaits attribués à des événements vieux de 40 ans, auxquels tous ceux et surtout celles d’entre nous qui gagnent moins de deux ou trois fois le smic doivent beaucoup en terme de vie pratique mais qui d’un point de vue des idées auraient dû, s’ils avaient un tel pouvoir de nuisance être un peu atténués par toutes les périodes où la tendance politique dont il fait partie avait le pouvoir (3).
Pourtant, et là mon cas personnel diffère de celui de Lola, je ne suis pas issue d’une gauche naturelle, pas la gauche politique en tout cas. Mon père était certes un vieux socialiste, solidement Mitterrandien, mais se comportait en dictateur à la maison ; peu de discussions possibles. Ma mère a probablement voté à gauche en 1981, dans un espoir qu’enfin ça change pour les petites gens comme eux. Mais elle tient à l’occasion des propos xénophobes et antisémites, ne porte pas « mai 68 » dans son coeur sans qu’on sache trop ce que ce vocable désigne pour elle, si ce n’est qu’alors l’absence de trains pour cause de grève l’avait obligée à supporter plus longtemps que prévu quelques membres de sa belle-famille venus à Paris précisément sur la période. Quant à ma soeur, elle est du genre à refuser son soutien à un journaliste au prétexte qu’il travaille pour un journal « gauchiste ».
Je ne sais donc pas d’où me viennent ces étranges idées de partage, d’aimer son prochain autant que possible, de ne pas me sentir menacée par qui, malheureux chez lui, souhaite habiter le même coin de sol que moi afin d’y tenter sa chance, cette certitude qu’à part en terme de force physique instantanément mobilisable une femme peut tout autant qu’un homme. A moins qu’il ne me manque un gène ( !), j’ai dû être très mal éduquée puisque je ne rêve pas de gagner plus, je voudrais juste gagner suffisamment pour que nous ne manquions de rien d’essentiel à la maison. Et que nous en ayons une, pour commencer ou que nous puissions la garder. Quant à travailler plus, nous faisons déjà notre maximum et l’âge venant notre énergie risque de décliner.
Malgré toutes les désillusions que ma vie personnelle m’a apportées, ces vieilles tendances humanistes sont et restent les miennes. Si elles sont ridicules, c’est que je le suis.
Elles ne sont pas dépourvues d’un sens écologique, au lieu d’habiter des régimes économiques qui ne tiennent que quand la croissance y est, et sont générateurs de guerres quand depuis trop longtemps elle disparait, il me semblerait de bon sens que les êtres humains logeant tous sur la même planète dont les ressources s’épuisent, devraient et sans tarder rechercher des organisations de société pour lesquelles l’équilibre et le moins de nuisances sur l’environnement serait le but à atteindre. Nous en sommes si loin. Et j’ai si peur qu’il ne soit trop tard.
Je n’ai jamais croisé aucun parti politique qui porte précisément ces nuances, à la fois sociales, soucieuses de l’avenir des générations suivantes et pragmatiques. Je sais que l’être humain n’est que ce qu’il est, et que sans la culture et la transmission de valeurs de tolérance et d’acceptation de l’autre et de ne pas profiter qu’il soit éventuellement plus faible pour taper, ça ne serait pas très beau à voir ou plutôt : encore pire. Je sais que la France n’est qu’une région d’Europe, elle-même d’un poids moyen parmi le reste du monde.
En désespoir de cause et parce que mon gagne-pain m’avait amenée à connaître des forts mouvements de capitaux internationaux, à présent souvent virtuels (4), j’avais participé au mouvement citoyen d’Attac, dont le mot d’ordre alors était la taxation de ces richesses virtuelles à hauteur de 1%. Mais rien, hélas n’en était sorti.
A cette étape des élections présidentielles, la seule candidate qui tient un discours de respect, de rassemblement, avec des mesures concrètes (5), concertées et non pas brutales, est celle du parti socialiste, laquelle a été désignée par ses militants.
Puisque par ailleurs les hommes qui au pouvoir se sont succédés jusqu’à présent n’ont jamais su vraiment le faire, malgré pour quelques uns une bonne volonté affichée, le fait qu’elle soit femme me laisse espérer qu’enfin on s’occupe de celles d’entre nous qui subissent violences et discriminations, qu’on cesse de faire comme si ça n’existait plus, qu’on laisse au moins une chance de s’en sortir à celles (et elles sont millions) d’entre nous qui élèvent seules des enfants ou qui, veuves, survivent d’une toute petite pension de réversion parce qu’en leur temps une femme « bien » ne travaillait pas de façon rémunérée.
Afin de préparer au plus sérieux ce billet, je suis allée à Charlety hier. J’avoue avoir été saisie par la ferveur populaire, rassurée par les réactions vibrantes d’une foule qu’on interpelait non pas sur les bases démagogiques et réductrices si fréquentes des fins de campagne, mais sur son intelligence, sa capacité à réfléchir et s’adapter, à s’entraider et à associer plutôt qu’à exclure et rejeter. Le discours était logique, cohérent et sensible. Je pense que les hésitants qui s’y sont rendus, et ils étaient nombreux les porteurs de tee-shirts oranges en faveur de François Bayrou, en sont repartis convaincus. Muni d’une telle présidente, capable de conduire avec fermeté mais sans brutalité les affaires publiques, le pays serait plus fort et personne n’y serait délibérément laissé pour compte.
Pour la première fois un slogan politique, même s’il n’est que cela, un slogan, possède pour moi un sens : « Demain ne se fera pas sans toi ». J’en veux bien de celui-là.
Je vais donc voter sans hésiter pour Ségolène Royal au second tour des présidentielles. Je l’ai déjà fait au premier. Traînait alors dans mon choix la crainte essentielle d’un scénario affligeant pour la démocratie.
Je le fais cette fois-ci pour une femme dont je sais que du pouvoir elle fera bon usage et dont j’admire le courage à défaut de partager chacune des convictions.
J’espère que je n’ai pas été trop longue, je manque de temps pour élaguer. J’ai été en tout cas très touchée, honorée, de faire partie des personnes que vous avez sollicitées. Merci beaucoup pour cette confiance.
Gilda
(1) source, son propre site
http://www.sarkozy.fr/unhomme/index.php?lang=fr&mode=parcours
(2) dépourvu d’annonceurs et donc à l’abri de toute mesure de rétorsion économique ricocheuse quels que soient les gouvernements en place, il est un des rares journaux en la fiabilité desquels je crois. Un des rares aussi à publier des erratums chaque fois que nécessaire ce qui arrive parfois ainsi que des droits de réponse quand les intéressés le leur réclament.
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