Une fois par an, avant, je fourrais tout ce que je pouvais dans un sac à dos et j'allais marcher entre deux et six jours, dans un coin inconnu de France, et de moi. Cette manière de partir avec seulement ce que j'étais capable de porter. Je le vivais comme une cure de mon addiction aux objets. Et puis, lors d'une randonnée, en 2015 je dirais donc ça fait 8 ans ! le sac à dos a tellement frotté avec le bas de mon dos, l'os près des fesses, je suis très cambrée, que j'ai développé une blessure. Une irritation qui a tournée au brun-bleu. Bref, dès que je pense au mot "sac à dos de rando", je la sens encore cette blessure.
Je suis repartie marcher, depuis, mais avec moins de ferveur.
Et cette année, j'ai carrément skippé mon rendez-vous annuel de février. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.
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Lorsque j'étais enfant, mes parents nous envoyaient en stage de bonnes manières chez ma grand-mère et sa petite soeur Tante Annick. Bon, elles elles appelaient ça des vacances à la mer, mais je te promets que c'est là que j'ai appris à dire Bonjour Madame, merci Madame, à faire mon lit en bordant les draps et remettant le couvre lit, à broder, à faire un ourlet, à recoudre un bouton.... C'était pas ben l'fun et je suis heureuse aujourd'hui de savoir tout ça.
Bref, sur le chemin de la maison de Dinard, nous nous arrêtions à Rennes, dans l'appartement de Tante Annick. Cet appartement au coeur du quartier historique : fascination et répulsion. Elle l'habitait avec sa mère Marie-Joseph, mon arrière-grand-mère donc, puis Marie-Joseph est morte et Tante Annick y est restée avec les deux neveux qu'elle élevait, puis elle y est restée seule. Le parquet sombre et craquant. Les pièces sombres, sauf la salle de bains, immense, avec sa baignoire au milieu, aux pieds de lion. Les meubles en bois occupant tout l'espace - le mobilier de deux maisons immenses rassemblé dans cet appartement, qui n'était pas petit mais forcément ça prenait de la place. Le mieux c'était le salon - la pièce la plus impressionnante, c'était le salon. On pouvait à peine se retourner. On n'y allait jamais bien sûr, sauf pour "visiter", comme dans un musée. Et avec mille précautions et recommandations, et toujours surveillés par nos deux gardiennes du temple, Mam et Tante Annick. Des fauteuils et des banquettes recouverts de velours ou de tapisserie, sur lesquels on n'avait pas le droit de s'assoir. Des horloges des porcelaines des chandeliers en argent à ne plus en savoir qu'en faire (et je ne parle pas de tous les Christ Crucifiés en ivoire accrochés dans tous les recoins, les bénitiers, les Saint Yves et je ne sais qui). Et les photos de mes arrières-grands-parents, qui faute de famille à elle, ont été les amours de la vie de ma Tante Annick.
J'étais exaltée de tous ces trésors, et fort triste que la fidélité à ses parents morts tienne lieu pour ma tante de principale compagnie.
Bref, je me suis fait la promesse que moi adulte, je ne me laisserais pas envahir par les objets !
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Je ne sais pas comment ma résolution a glissé.
A 25 ans, j'ai à la fois hérité de plein d'affaires de ma tante Annick (j'ai vendu quelques crucifix, au grand dam de sa grande soeur Mam), et connu les dépôts-vente. A l'origine je les ai découvert ces dépôt vente pour m'habiller, enfin je n'en connaissais qu'un seul à côté de mon bureau d'alors (dans le quartier de Montorgueil) et quelle fierté pour le prix d'un gilet Zara neuf, m'offrir un gilet Jean-Paul Gaultier qui avait servi mais justement, quelle beauté que la patine sur les belles étoffes !
Des dépôts-ventes aux vides greniers, il n'y avait qu'un pas que j'ai franchi avec les années, puis je me suis mise à collectionner les bols, les jouets à roulette, les chiens et (sans m'en apercevoir mais le fait est là) les chats miniatures.
Bref, Tante Annick a fait de moi son héritière en me co-lèguant sa maison de Dinard, et en a profité pour me refiler sa fidélité aux objets.
Le minimalisme ne passera pas par moi !
Et je m'en réjouis, car mes kikis d'amour ont tous une histoire, tous leur charme, tant par eux-même que dans leur accumulation et leur ordonnancement.
Et j'en souffre, car honnêtement, y'en a partout.
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