J'ai déjà raconté cette histoire cent fois.
Ne pourrais-tu pas nous raconter de nouvelles histoires ? me demandent parfois mes filles. En gémissant, un peu, car de mes vielles histoires elles n'en peuvent plus. Et il y en a plein encore que je n'ai pas raconté, sans le vouloir, juste parce que je ne pense pas à les raconter. Allé, hop, quelques gouttes de thé encore bien chaud dans le capuchon de thermos qui me sert de tasse. Et je te la raconte, cette histoire que j'ai dans ma tête là maintenant, une cent-unième fois.
Il faut toujours écouter ses amis. Pas leur obéir à chaque fois, mais déjà - les écouter. Avec mon amie Anna, nous animions des petits déjeuners intitulés Ecrire pour, dans un café. Je ne sais plus, vraiment plus, j'ai oublié pour de vrai ce que nous y proposions à nos clientes et clients ; ce dont je me souviens, c'est la douceur de ces moments, leur stimulation, l'ambiance chaleureuse et joyeuse et la joie de faire quelque chose avec une amie - elle, Anna. Un jour Anna me dit, Tu devrais lire ce livre - et par "ce livre", elle avait en tête un bouquin au titre cucul et à la couverture moche, à l'auteure inconnue de moi - Libérer sa créativité, par Julia Cameron, dans la collection "petit livre rouge" de j'ai lu. Elle a dû me le répéter une ou deux fois, avant que je me décide à l'acheter.
Je me souviens, j'ai eu le livre entre les mains le 8 octobre 2010.
Je me souviens de ce jour comme d'une seconde naissance.
Dès le premier paragraphe, I was home. Julia parlait des personnes qui se planquaient derrière leur métier, parfois éditeur, parfois agent, parfois "ghost writer" comme j'étais à l'époque. Hu hu. Par peur de vivre leur véritable vocation d'artiste. Cette entrée en matière m'a donné la confiance d'essayer les outils proposés par Julia Cameron, pour accéder à l'artiste en moi et le débloquer.
Les deux outils "bedrocks" comme elle dit, la base quoi, je les ai pris "à l'essai". On verra si ça marche pour moi, on verra si je m'y tiens. Enfin, je m'y tiendrai si ça marche pour moi.
Le premier outil c'est les pages du matin, trois pages écrites à la main dans un cahier, chaque matin, au saut du lit si possible, à ne montrer à personne, ni à relire moi-même avant plusieurs semaines. J'avais un stock de cahiers vierges, j'ai pris le premier joli qui me plaisait et le matin suivant, zou, je suis tombée du lit et j'ai été écrire dans le canapé rouge. Mes filles, âgées de 5 et 8 ans, sont venues comater de leur fin de nuit à côté de moi - je leur ai donné l'instruction, Vous pouvez rester à côté, me parler si vous voulez, mais pendant que j'écris mes pages, vous ne me demandez rien.
J'ai du mal à décrire le bien que ça m'a fait alors ; le bien que ça me fait toujours. Au bout de toutes ces années, ce serait comme dire "Voilà à quoi me sert de me doucher". Mais je me souviens de tout le stock de tristesse qui est sorti, pendant deux ans. Je me souviens du soulagement que ça a été, et que ça est toujours, d'avoir un point d'ancrage - de commencer chaque journée par la même activité, quel que soit ensuite le menu de cette journée. J'ai tellement, tellement, tellement besoin de parler ! D'entrer dans les détails ! De me répéter ! De me plaindre, sans que ça soule personne, ni ne donne à personne un pouvoir sur moi. Donc, d'après mes souvenirs, qui sont flous, d'abord parce que ça fait longtemps et ensuite parce que l'horaire des pages, juste au sortir de la nuit, fait que je ne suis pas encore complètement consciente de ce que j'écris. De toutes façons quand j'écris je perds un peu la conscience... Bref je crois me souvenir d'une grosse tristesse qui sortait dans les deux premières pages et demi, et ensuite, la dernière demi-page je me demandais souvent, Et sinon, qu'est-ce que je pourrais faire aujourd'hui pour passer une journée un peu plus gaie ?
Et ça fonctionnait, je trouvais, en plus la tristesse s'était épanchée et était beaucoup moins envahissante dans ma journée.
Compter les bienfaits de ces pages dans ma vie serait très long. Disons que lorsque j'en parle devant une audience, je montre mon niveau d'anxiété avant les pages (main levée 20 centimètres au dessus de ma tête) et depuis les pages (main à mi-mollet).
D'autant que ce n'est pas le seul outil proposé par Julia Cameron que j'utilise avec assiduité.
Les trois pages, c'est chaque matin. Les rendez-vous avec l'artiste, c'est chaque semaine : une activité menée seule, en dehors de la maison, pour faire quelque chose qui m'intéresse et qui m'amuse.
Julia Cameron prévient dans son livre : pour la plupart des gens, c'est plus facile de s'astreindre aux pages du matin qu'aux rendez-vous avec l'artiste. Une demi heure, chaque matin, ça se case. Une séance de "jeu" ou d'exploration en solo : pas si facile d'extraire du temps à sa vie familiale et professionnelle, juste pour jouer.
Depuis 12 ans, j'ai du manquer 3 matins de pages du matin et 5 semaines d'artist dates. Je sais à quel point c'est éclairant, enthousiasmant, donneur d'idées, connecteur d'intelligences, d'aller voir avec régularité ce que des artisans, des artistes, des lieux ont à me dire. Je mesure à quel point ça me rend ingénieuse, curieuse, élargie, assumant mes désirs sans avoir à les justifier, cette petite expédition que je m'offre chaque semaine. Parfois je fais un tour de vélo près de la maison pour aller explorer un coin que je connais mal, parfois j'entre dans une nouvelle boulangerie, parfois je fais la tournée des galeries d'art dans le Marais, tout dépend de mon humeur, du temps que j'ai, des endroits où je suis attendue, de là où je travaille cette semaine-ci. Parfois l'artist date est génial, parfois il est tout pourri, mais ce qui est chouette c'est le processus, comment je me décide, comment je m'organise, la joie que ça me donne, ce que je découvre en y allant, et autour du lieu de l'artist date en lui-même. Il m'arrive toujours des mini incidents autour de la petite aventure - et c'est eux qui en font la saveur.
Je reviens à ma table de travail chargée d'idées, de connexions, d'influx nouveaux que je vais mettre directement ou non, dans un texte... dans un dessin... dans une recette de cuisine... dans un look... dans la prochaine formation... dans la déco de la maison..
Au bout d'un an j'ai décidé, ou même peut-être avant, d'utiliser ces deux procédés pour le restant de mes jours.
Je dois avouer que je n'écris les fameuses pages du matin que par période (alors que je connais le livre de Julia Cameron depuis 2004 !). C'est un peu pareil pour les artist dates : parfois, je me rends compte que ça fait longtemps et que ça me manque, mais je n'en ai pas fait une discipline de vie. Peut-être que ça va venir un jour ?
Rédigé par : Emilie | mardi 17 janvier 2023 à 19:24
Comme je suis heureuse que tu reparles de ces deux outils, Christie ! Ce n'est pas comme si je ne les connaissais pas !! Les pages (qui ne sont pas souvent du matin, chez moi, malgré le fort conseil de Julia) m'accompagnent depuis tellement d'années et j'aime lire comment toi, tu les vis, les a commencées.
Quant aux artist dates, je plaide coupable de non-pratique, surtout depuis le Covid. Ou d'une pratique très rare. A réintégrer dans ma vie, donc !
L'autre jour, dans une librairie lyonnaise que j'adore, à la Croix-Rousse, j'ai acheté un petit bouquin ("Bouge ton haïku") car les deux auteurs étaient là, à le faire signer. Derrière eux, sur une étagère, le livre de Julia. Je n'ai pas pu m'empêcher de le leur conseiller. Ils gagnent tous les deux leur vie en écrivant (autre chose que ce petit bouquin !!) mais n'en avaient jamais entendu parler. Je leur ai dit que c'était un "life changer". Je ne sais pas s'ils l'ont acheté/lu au final...
Mais moi, je suis si heureuse, comme toi, que Julia soit entrée dans la vie ! Je me souviens quand tu es allée la voir à Londres. Dis, tu nous le re-racontes ?!... ;-)
Rédigé par : Anne-Liesse | jeudi 19 janvier 2023 à 12:44
ah mais toi Anne-Liesse tu as toujours gardé de la liberté par rapport aux outils ! c'est une chose que j'admire chez toi. J'ai tenu sans problème les artist dates pendant les confinements, grâce à ce livre génial de Rob Walker, The art of noticing, qui m'a donné tant d'envies de balades ! et hier, couchée au fond de mon lit, sans pouvoir même lire (gastro foudroyante), j'ai pu suivre sa proposition du jour, prêter attention aux sons autour de moi. Ils m'ont tenue compagnie toute la journée !
Rédigé par : Christie | vendredi 20 janvier 2023 à 09:05