(Le voilà, le texte que je portais en moi jeudi, en tentant de désoucher les bordures de fleurs de notre nouveau jardin).
Depuis l'enfance, j'entends Papa dire Ce sont des problèmes de riches. Je n'ai plus la moindre idée de ce dont il voulait parler, et ce que je comprends depuis toujours, c'est : ces situations nous incombent car nous possédons quelque chose auquel nous tenons et que nous ne voulons pas perdre, tout le monde n'a pas cette chance ET ce n'en sont pas moins des situations qu'il convient d'adresser. Même une fuite dans mon toit, ça peut être un problème de riche car, j'ai un toit. Et il fuit. (En l'occurence, nous avons une chaudière, et elle débloque, et je viens de prendre rendez-vous avec le technicien pour la réparer).
Jamais jusqu'à présent cependant, même si j'ai possédé des voitures et des toits sur ma tête, et un ordinateur bref des choses, ne me suis-je vraiment sentie concernée par le terme "problèmes de riches" évoqué par mon papa.
Lorsque nous avons cherché une maison dans l'Yonne, Nico voulait absolument un grand terrain. De mon côté je n'avais rien contre, ET quelque chose en moi songeait, Un petit jardin, ça m'irait bien aussi. Ça restait vague, diffus, mon appréhension du grand terrain. Et lui y tenait. Alors quand on a trouvé ce très bel ensemble de granges et une petite maison, entourés d'un grand terrain, nous n'avons pas hésité, pas une minute.
Pour travailler dans le jardin et dans la maison, Nicolas s'est trouvé une combi noire, et moi une combi verte - qui, tiens tiens, ressemble à celle que portait mon grand-père lorsqu'il travaillait à son jardin, son immense royaume bellilois. Mon Cher était militaire à la retraite et donc cette combi kaki était un ancien treillis qu'il portait, peut-être bien en Indochine ? Alors que ma combi à moi est neuve et je l'ai achetée au vide grenier. Mais elle ressemble.
Et donc jeudi. Arrachage de souches de frênes et autre futur arbre, dans les plates bandes bordant les granges. Tentative d'arrachage je veux dire, les souches sont plus fortes que mes biceps, mes gants, mon sécateur, le déplantoir. Les ronces aussi. Les lianes, et le lierre aussi. Quant au pissenlit, je l'arrache et dans 15 jours il a repoussé juste à côté.
Et là je me souviens de mon grand-père habillé de son treillis d'Indochine, qui se faisait tirer l'oreille pour sortir de son jardin et nous emmener à la plage. Comme je comprends à présent sa difficulté à s'arracher à son jardin ! Le travail sans fin. L'esclavage volontaire.
Et là je me souviens de mon attirance pour les petits jardins, de ma réticence pour les grands jardins. Je crois savoir à présent d'où je la tirais, cette prescience qu'un grand terrain... y'avait quelque chose... C'était donc ça : le travail sans fin, le travail invisible, le combat perdu d'avance de l'homme contre la nature !
Et devant les souches de frênes et devant les ronces et les lianes et les pissenlit, et le lierre très beau mais qui déchausse les pierres et les toits, me revient finalement cette expression de mon papa... Un problème de riches... Une situation que je n'aurais pas besoin d'adresser si je n'avais pas la responsabilité de ce jardin et de ces murs, et à présent qu'ils sont à moi, puis-je laisser des frênes pousser dans les plates-bandes ?
Aillle aille oille !
(Voilà, voilà l'histoire ma chéri-chérie, qui a germé dans ma tête à mesure que je tentais d'éclaircir nos plates bandes.
Je suis heureuse de lui avoir donné le jour. Et à présent que je l'ai écrite, je me sens sans regret, je me dis que j'ai bien fait de profiter du moment, jeudi, pour aller regarder le soleil se coucher dans les champs avec Nico.)
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