Tout a commencé dans cette chambre à San Bernardo, au Chili ; dans la deuxième maison qui m'a accueillie, Henri, l'un des fils de la maison, avait accepté de partager sa chambre avec son frère pour me laisser la sienne - quelle gentillesse, quel sens de l'hospitalité, quel luxe, dont tout à mon arrogance de jeune fille, je n'ai pas su mesurer la portée ni les attentes attenantes. Les fils attachés à cette chambre qui m'était proposée.
Mais c'est une autre histoire.
Dans cette famille qui m'avait fait de la place, il n'y avait souvent pas grand chose à manger pour le diner - du pain et de la margarine que l'on faisait passer avec du mauvais thé. De temps en temps, j'allais en ville et ramenais un ou deux avocats, des tomates, et on avait ainsi des sandwichs améliorés. Mais quand je n'avais pas pu faire les courses, les soirées en famille se terminaient vite et je montais me coucher tôt. Sans pour autant dormir, j'avais d'autres projets.
Oh la joie de cette chambre pour moi, dont je pouvais fermer la porte et ainsi me retrouver SEULE. A 14 000 kilomètres de mon pays, je me sentais non pas exilée mais très en demande de lire d'entendre de parler d'écrire ma langue maternelle - et pour ce faire, j'avais besoin quelques heures par jour de me retrouver dans la solitude de cette chambre lambrissée de bois naturel, appuyée au mur fin comme du papier à cigarettes, avec mon oreiller.
Avant que je ne quitte la France, Maman m'avait acheté un énorme cahier à spirale et en matière recyclée, un papier brun où mon bic glissait parfaitement ; chacune de mes soirées passées dans la chambre, je l'utilisais en partie pour relire ma journée à l'intérieur de ce gros cahier. 14 ans avant de découvrir les pages du matin, j'écrivais mes pages du soir - je trouvais que, pour une fille partie passer un an en "mission humanitaire", je manquais d'humanité, je me faisais sans arrêt des tonnes de reproches et j'avais envie, et besoin, d'examiner ma journée et voir comment je pourrais faire mieux le lendemain.
Une sorte d'examen de conscience, de tisane avec mon ombre. Je ne sais pas ce qui m'en a donné l'idée, peut-être l'une des religieuses avec lesquelles j'échangeais quelquefois. Ou peut-être est-ce sorti de mon propre chapeau. En tout cas, après quelques jours de cette pratique de relecture de ma journée, je vis rapidement des améliorations dans mon attitude. Disons que les bourdes de la veille, je ne les reproduisais pas le lendemain ! et c'était déjà quelque chose. Je me voyais progresser et cela m'encourageait. Je perdais moins d'énergie aussi à m'auto-flageller. Et quand je me voyais "mal agir", j'avais la consolation de savoir que je pourrais examiner l'incident au calme de mon cahier ce soir-là, et élucider le comportement à avoir lors d'une prochaine occurence.
Le calme de ma chambre était tout relatif - les murs de contreplaqués étaient si fins que je pouvais entendre tout ce qui se passait dans la maison et aussi dans la rue et ce jusqu'à une heure avancée de la nuit, c'est d'ailleurs à San Bernardo que j'ai appris que les gens qui cherchent à dormir la nuit n'ont pas la priorité dans tous les pays, et à dormir avec des boules Quiès. Mais moi j'étais soustraite à la vue et aux oreilles des autres, et plongée dans un monde de sentiments, de relations, d'évènements, que je faisais vivre et revivre avec des mots.
Capitaine de mon bateau-lit, à la barre de mon bic sur la mer de papier beige, je me sentais toute puissante.
Aujourd'hui encore, aujourd'hui de nouveau, pas tous les après-midis mais deux ou trois après-midis par semaine, j'investis notre grand lit, le chien généralement étalé à ma gauche et me gratifiant de ses ronflements irréguliers et fragiles, et c'est de là que j'écris et conçois et réponds et récapitule et me nourris des voix des jardiniers des serres voisines et des pioupious des oiseaux.
Bonne journée, ma chérie-chéri !
Oh la la je ne saurais pas dire précisément ce qui me plaît tant dans ce texte mais je le trouve magnifique !
Rédigé par : Irène | mardi 29 mars 2022 à 13:23
Bon et j'ai je ne sais pas combien de semaines de retard pour formuler ici tout ce que ce blog m'a apporté de savoureux et de fructueux, mais j'ai bien l'intention de prendre le temps de le faire
Rédigé par : Irene | mardi 29 mars 2022 à 13:28
oh merci chère Irène, c'est un foisonnement dans ma vie cette année au Chili, sans doute qu'un jour j'écrirai quelque chose de plus long...! Tendresse, C
Rédigé par : Christie | mercredi 30 mars 2022 à 12:34