C'est avec ma maman que je vais à mes cours de yoga, le mercredi soir. Si elle n'y allait pas, j'aurais sans doute lâché la rampe depuis un moment, enfin, comment savoir ? Elle vient.
Lorsque nous arrivons au cours, qui a lieu au dojo surplombant le gymnase à deux minutes de chez moi, je suis déjà en tenue, elle non. Je m'installe quelques minutes avant elle, qui doit se changer et qui aime prendre son temps. Hier soir, j'étais en position, sur le dos genoux repliés sur la poitrine, quand elle est entrée dans le dojo.. j'ai levé un peu la tête et l'ai regardée s'avancer sur les tatamis, évaluer là où elle pouvait s'installer parmi les corps déjà présents, ne pas trouver tout de suite même si nous étions une dizaine à peine dans ce grand dojo... Elle a opté pour un espace, et puis en posant le duvet fin qui lui sert de tapis de yoga, elle a continué à regarder autour d'elle, peut-être pour sentir l'ambiance, pour voir qui était là ce soir, je ne sais pas finalement ce qu'il y a dans sa tête et déjà je me sentais indiscrète de l'observer à son insu et je me sens indiscrète de le raconter aujourd'hui. Comme si je volais quelque chose qui ne m'appartient pas. Et je le fais quand même.
En voyant Maman s'avancer, regarder, prendre sa place de manière délicate mais pas évidente, vu de ma place, j'ai pensé à la toute petite fille qu'elle était, deux ans et demi, lorsqu'elle est partie rejoindre sa famille à Madagascar. Mon grand-père était militaire dans un corps appelé "la Coloniale", Maman, la 7ème de 8 enfants, est née alors qu'il était en poste à Tunis. Ma grand-mère était très malade et Maman a été confiée, dès sa naissance, à sa jeune tante puis à sa grand-mère maternelle, qui l'a élevée rue de Rennes à Paris jusqu'à ses dix-huit mois. Puis Maman, malade, a été passer un an en sanatorium !! avant que sa famille demande à la récupérer (ou ne demande pas, je n'en sais rien, mais bref il fallait qu'elle les rejoigne). Et Maman qui était loin d'être ma maman, mais une très petite fille qui avait déjà beaucoup voyagé, a pris l'avion avec ses deux grandes soeurs de douze et dix ans, direction, Madagascar et sa famille qu'elle ne connaissait pas.
Hier soir j'ai repensé à ça, en voyant Maman avancer, regarder autour d'elle : à la difficulté que ça a dû être d'entrer tout d'un coup dans une famille de 8 personnes, elle était la 9ème, l'aînée des enfants avait 12 ans, puis 10, 8, 7, 5, 4 et elle, deux ans et demi. Elle a dû beaucoup observer, chercher à comprendre, chercher à se faire aimer, être beaucoup perdue.
Pfiouu... elle l'a peut-être très bien vécu et été entourée de tout l'amour possible, mais j'ai quand même le coeur serré pour cette petite fille qu'elle a été.
Rédigé par : Milky/Bree | jeudi 03 février 2022 à 14:41
Que c'est beau ce regard de fille qui scrute sa mère, son mystère, ce qui échappe à elle-même, la conscience de ta double indiscrétion qui nous émeut, nous réjouit de pouvoir participer à ça nous aussi, d'être les voyeurs de Christie regardant sa mère...
Et cette plongée dans son enfance, avec tout ce que tu as du tricoter sur elle pour la comprendre, pour l'accepter...
Je pense à ma mère qui est partie en bateau au même âge rejoindre son père au japon, à sa peur de ne pas être convenable, à son impression de ne pas être à la hauteur, à son infinie délicatesse pour ne pas être de trop. Fille de militaire aussi, ou plutôt de marin...cela laisse des traces.
Rédigé par : Laurence | jeudi 03 février 2022 à 20:07
oui moi aussi j'ai le coeur serré...
c'est fou l'histoire que tu racontes Laurence, l'image de cette traversée en bateau... je vois le film.. je vois Marguerite Duras faisant le chemin inverse dans l'Amant... c'était dur ces vies et c'était l'aventure !!!
Rédigé par : Christie | vendredi 04 février 2022 à 09:58
ça me serre le coeur de lire ce texte parce que tu parviens à ce que je m'identifie un peu à cette petite fille de 2 ans et demi.
Je sens dans ton texte un tel amour, une telle tendresse...c'est doux.
merci
Rédigé par : Emmanuelle | mercredi 16 février 2022 à 17:51