Aux personnes qu'en ce moment je croise affligées, j'ai envie d'offrir un cahier (et pour certaines je le leur offre) avec la consigne, ou la prière, Ecris.
Ecris ce que tu es en train de vivre et qui te réveille le matin avec la pensée C'est un cauchemar, avec des larmes silencieuses ou des sanglots hoquetants quand ta conscience retrouvée te rappelle cette perte ou ce mal qui t'afflige, avec des sueurs froides pendant la nuit de cette solitude, de cet abandon dans lequel tu es plongé.
Tu vas me dire, tu me dis, tu ne me dis pas, tu penses, Je ne vois pas en quoi écrire va me rendre celui ou celle que j'ai perdu, celui ou celle qui est malade, celui ou celle que je n'ai réussi à sauver (de la maladie, du départ, de lui-même...). Ecrire va me ramener à cet aveu d'échec.
Ecris, te dis-je. Essaie. Même si tu ne vois pas où ça va t'emmener. Les pensées de toutes façons tu les as. Les réveils, les angoisses. Les souvenirs. Les J'aurais pu, les J'aurais dû, les Je n'ai pas, les J'ai tout fait de travers, les J'ai mal aimé. Puisqu'ils te torturent dans ta tête, laisse les te torturer sur la page. Au moins. At least you'll be left with something.
L'écriture est un voyage dont on ne sait pas où il va nous emmener. Mais c'est un voyage avec un début, un milieu et une fin - avec au moins un début. Tu donnes une forme à ces pensées qui t'assaillent et peut-être tu pourras les relire. Peut-être cela t'aidera à comprendre ce qui s'est passé, ce qui se passe pour toi. Ta main, l'encre sur le papier, tu ne sais pas où ils vont t'emmener. Tu crois que tu te connais par coeur mais tu sous-estimes ton pouvoir exploratoire. Ainsi moi tandis que je t'écris ces mots j'avais bien une idée en tête en partant, mais je ne sais pas du tout mais pas du tout, je n'en ai pas la moindre idée, de là où ce texte veut m'emmener.
Ecris en désirant rendre justice à ta peine. Ecris en étant le plus précis possible, en détaillant ces pensées meurtrières, Il est trop faible pour être soigné / Je me suis rendu à son appartement, il était tellement plein de cartons qu'il était visible qu'elle ne s'était pas installée, personne n'est venu lui rendre visite dans cet appartement / Je suis trop triste pour avoir envie de parler à quiconque en ce moment / J'ai senti qu'elle allait mal mais je ne lui ai pas téléphoné je n'en avais pas l'énergie / C'est à cause de moi s'il est mort de soif et de chaud et de désespoir d'être abandonné / Au moment où elle est morte, j'étais en train de négocier avec moi-même je vais la voir à l'hôpital aujourd'hui oh non pas aujourd'hui j'irai demain...
Peut-on se pardonner de survivre à l'être aimé ?
Ecrire sur chacune de mes pertes m'a aidée à l'apprivoiser. M'a aidée à rassembler des éléments épars. M'a aidée à retrouver des éclats de joie et d'amour.
Ecrire sur chacune de mes pertes m'a consolée, un peu. M'a libérée en tout cas de l'obsession. Je couche mes pensées sur la page, ce qui est dehors n'est plus dedans. Et quand ça revient, tant que ça revient, je sais que je peux écrire. Alors je le fais, j'écris.
Lorsque Churchill (mon chien, celui que nous avons eu avant Hush) est mort, j'ai été inconsolable. J'ai pleuré pendant 3 semaines. Jusqu'à la mort de ma grand-mère, oui, 3 semaines après Churchill (mon chien), Mam ma grand-mère chérie est morte à son tour. Les seules paroles qui ont réussi à me consoler de la mort de Churchill, mais à m'apaiser en profondeur, ce sont les paroles d'autres animal lovers qui avaient déjà perdu un animal. Eux ne me trouvaient pas ridicule, eux savent que ça prend du temps, eux connaissent cette culpabilité atroce que nous éprouvons lorsque nous perdons un être placé sous notre responsabilité. Eux mesurent l'ampleur de la perte d'un être qui partage toutes nos habitudes depuis plusieurs (et toujours trop peu) d'années.
Mon âme-chien pleure avec toi, m'a dit la grand-mère de Nicolas (celle qui est morte 6 ans plus tard, et dont le visage m'est apparu dans un arbre deux jours après sa mort, ce furent nos adieux, nos formidables adieux).
Tout ça pour te dire. Les mots que tu vas poser sur ta peine, les mots que tu vas écrire, peut-être ne te consoleront pas mais peut-être que si. Et peut-être, peut-être que si tu décides d'une manière ou d'une autre, de les publier, ils aideront quelqu'un d'autre à supporter leur chagrin.
Comment est ta peine
La mienne est comme ça...
Décrire, donner à voir la peine dont je suis l'experte. Jubilation de la précision, du scalpel dans ma blessure.
Ecrire donne une forme à ma peine.
Les mots que j'ai écrits à la suite de la mort de Noémie, alors que j'étais obsédée par tout ce que je n'ai pas fait pour elle, m'ont aidée à reprendre le cours de ma vie ; et aussi, ces mots ont suscité d'autres "Je me souviens", de la part d'autres personnes qui l'ont aimée. Ils ont aussi appliqué un peu de baume sur le coeur de ses parents et leur ont donné à voir un autre visage de leur fille. Ils ont aussi donné envie, ces mots, à ceux qui ne l'ont pas connue, de la connaître.
Ecris. Ça peut t'aider. Ça peut en aider d'autres. Au pire, tu déchires les feuilles.
Ma chérie-chéri, je pense à deux livres de deuil que j'ai adorés, dévorés. Avant que j'oublie, d'Anne Pauly. Elle y évoque son père, demi-clochard alcoolique et pudique et adoré. Et L'année de la pensée magique, de Joan Didion. Elle y resuscite son mari, son amour. Moi qui n'ai perdu ni père, ni mari, ces deux livres. Je ne sais pas. M'ont embaumé le coeur.
Bonne soirée ma Loute, mon Lou.
Quel beau texte, très juste, merci
Rédigé par : Pat | mardi 12 janvier 2021 à 19:26
Merci pour ces mots!
As-tu le « ce lien qui ne meurt jamais » de ma professeure et désormais Amie Lytta Basset?
Rédigé par : Titoune | mardi 12 janvier 2021 à 20:07
Oh merci Christie pour ce magnifique témoignage... qui me parle énormément !
Quel travail intérieur d’accueillir les pertes, la disparition des proches.
J’ai adoré le podcast ci-dessous sur l’alchimie du deuil :
https://louiemedia.com/emotions/2021/1/11/le-deuil-une-mtamorphose-infinie
Il y est question du livre d’Anne Pauly justement!
Rédigé par : BlàdineS | mercredi 13 janvier 2021 à 08:40
Merci Christie.
Comme toi j'avais beaucoup aimé "l'année de la pensée magique", je suis d'ailleurs très impressionnée par cette dame et son cheminement et son talent pour mettre en mots.
Belle journée à toi je t'embrasse bien.
Rédigé par : small head | mercredi 13 janvier 2021 à 10:36
Oh, Christie !, que ce texte est beau et combien il me parle, moi qui n'ai pourtant perdu personne, ou en tout cas pas récemment; moi qui, comme nous toutes et tous, perd tout le temps quelque chose : un espoir, une envie, une envolée, une relation à ses débuts... Se libérer de l'obsession, donner forme à sa peine, being left with something - comme tu décris ça justement.
Sur le deuil, ce sont les mots d'Elisabeth Kûbler-Ross qui m'ont fait du bien et aussi beaucoup ceux de Christophe Fauré (Vivre le deuil au jour le jour), et ceux de Chantal Haussaire-Niquet sur le deuil périnatal.
Une pensée pour Noémie, et de la gratitude pour ta présence et tes partages ici.
Je t'embrasse.
Rédigé par : Anne-Liesse | mercredi 13 janvier 2021 à 16:35
Merci pour tes mots Christie.
Rédigé par : nathalie | jeudi 14 janvier 2021 à 10:42
mille baisers mes amies, merci pour vos passages et les témoignages de vos passages.
Anne-Liesse, comme tu le dis, notre vie est une successions de pertes ! comment je les supporte ? comment je les métabolise ?
le podcast Blandine, je vais l'écouter. J'aime bien le travail de Louie Media !
Rédigé par : Christie | jeudi 14 janvier 2021 à 10:49
Merci Christie... Ce matin, pendant mon yoga, j'ai eu une pensée en lien avec la perte de ma belle-maman adorée, et je me suis dit "il faut que je le note, c'est super important". Mais je n'ai pas voulu m'arrêter et là maintenant, plus moyen de m'en rappeler.
J'ai toujours "peur" d'écrire mes pensées les plus profondes, peur que quelqu'un tombe dessus, peur d'être jugée...
Tiens, s'il y a bien quelque chose que j'aimerais lâcher en 2021 c'est cette peur et je me rends compte que rien n'y fait allusion dans mes SD...
Ah ben ça y est, ça me revient ! C'était justement "j'ai peur de partir et de ne pas avoir fait tout ce qui est important pour moi". Ca alors!
Au boulot!
Merci.
Rédigé par : Nathalie | vendredi 15 janvier 2021 à 09:57