Le frustrant de l'écriture, c'est que des idées qui me paraissent à moi très très bonnes et en tout cas très séduisantes, surgissent pendant ces instants de vacuité, les mains dans la farine, le corps sous l'eau de la douche, le nez à l'air, les mains sur le volant de la voiture ou le guidon du vélo, à des moments donc où je suis disponible dans ma tête mais pas pour noter. Je me suis organisée pour noter quand même, avoir un carnet avec moi à peu près partout où je vais, j'accepte que cesdits carnets ou à défaut mon téléphone lorsque je prends des notes dans l'appli notes, soient couverts de terre / pâte à tarte / gouttes d'eau. Mais les idées, petits papillons, y'en a toujours qui s'arrangent pour passer au travers des mailles de mon filet et c'est ce qui m'est arrivé ce matin. Depuis 10 minutes je cherche frénétiquement, et en vain, l'idée que j'ai eue en allant chercher le pain il y a une heure.
Pour me divertir (en fait je n'y arrive pas !!! l'idée perdue m'obsède !! et si ça se trouve elle est banale, sans intérêt mais peu importe : elle m'échappe, elle m'obsède) ; bon ; pour me divertir, je vais tenter d'écrire le texte que j'avais prévu d'écrire hier. Ce n'est pas très sympa pour lui. Ce texte mérite TOUTE mon attention, toute ma dévotion ; et je m'apprête à l'écrire en sachant qu'une fuite de gaz a cours dans mon cerveau. Pendant que je vais chercher les mots pour l'écrire, une partie de mon cerveau va elle chercher l'idée perdue.
Bon.
Si je n'écrivais que lorsque je n'ai que le texte en tête, je n'écrirais pas grand chose.
Alors je me lance.
33 ans après sa mort, beaucoup de gens s'accordent à dire que Mon Cher, mon grand-père, avaient d'énormes défauts et d'énormes qualités. Petite fille, il m'apparaissait comme un ogre ; aujourd'hui, je le perçois comme un démiurge. Le créateur de son immense famille (lui et ma grand-mère ont fabriqué et élevé tant bien que mal 8 enfants), et celui du domaine de Bordustard à Belle-île (celui qui a été vendu en 2008, 18 mois après la mort de Grand-Maman, 20 ans après la mort de Mon Cher). Parmi ses qualités, il y avait son amour des livres et de la langue. Et quand je parle de lui sans doute je lui attribue toutes les qualités de mes tous mes grands-parents, parce que d'aussi loin que je me souvienne j'ai été fascinée par la manière de parler des trois grands-parents que j'ai bien connu, 3 + ma Tante Annick, la petite soeur de Mam, qui s'est beaucoup occupée de moi enfant et adolescente.
Les grands-parents. Même lorsque comme Mon Cher ils s'activent en permanence (mes grands-mères aussi d'ailleurs, et ma tante Annick), leur temporalité n'est pas la même que celle de nos parents. Le temps des parents était quotidien, productif. Avec mon grand-père et mes trois grand-mères, j'étais beaucoup plus attentive à leur manière de vivre, de faire les choses, de parler. Et je revenais des séjours passés à Belle île (chez Mon Cher et Grand-Maman), à Dinard (avec Mam et Tante Annick) la tête farcie d'histoires et de mots et expressions nouvelles qu'il et elles m'avaient raconté.
Chez Mon Cher et Grand-Maman, j'étais frappée par tout un tas de mots qui nommaient des réalités jusqu'alors inconnues de moi ; ou bien par des mots qui nommaient différemment des choses connues.
Dans la première catégorie, mes grands-parents affectionnaient une huile pimentée qu'ils appelaient le pili-pili. Le plat du dimanche soir qu'on adorait mes cousins et moi, c'était les pâtes à la ficelle (un gratin de coquillettes ou de macaronis au gruyère). Bon je ne parle que de bouffe mais ce sont les souvenirs qui me reviennent - et puis les repas ou la préparation des repas, ce sont les moments où on était tous ensemble, parce que le reste du temps chacun vivait un peu sa vie.
Dans la catégorie numéro deux, nommer différemment des choses connues, je me souviens de ces mots de Grand-Mam, chandail et cardigan, pour nommer un pull et un gilet. Quelle idée ! me disais-je. Et j'aimais ces exotismes. Quant à Mon Cher, le soir, avant de nous lire une histoire assis sur son beau et gros fauteuil vert-absinthe, il nous envoyait dans le jardin "Allez faire votre quart d'heure colonial" - c'est-à-dire, faire les foufous pour nous défouler, avant de revenir, bien sages, et de l'écouter sans moufter puis d'aller nous coucher en ne mouftant plus du tout.
Pili-pili, cardigan et chandail ne sont jamais entrés dans ma langue, pas plus que les pâtes à la ficelle que j'appelle gratin de pâtes comme tout le monde (j'imagine). Mais aujourd'hui, aujourd'hui encore, lorsque mes filles sentent monter en moi l'irrépressible désir de faire la follasse, elles mettent une main devant leur visage et savent que c'est partie pour un quart d'heure (au moins) de colonies !
Et toi ma chérie-chéri ? Quelles merveilles langagières t'ont laissé tes grands-parents ?... que tu les utilises, ou pas !
(Bon. Je n'ai toujours pas retrouvé mon idée. But I got "some writing done", et pendant 1/4 d'heure, ah non en fait 1/2 heure, j'ai oublié complètement que je la cherchais. Je suis parvenue à m'immerger dans mon histoire, et de cela je dis ouf, et merci.)
ps : La photo a été prise par Madame Alma. Qu'elle me photographie bien ma chérie douce - prenant le relais de ma mère, puis de son papa mon homme, j'essaie de ne pas trop pleurer le fait que lui me prenne moins en photo... et je profite du regard aimant de ma petite grande sur moi. Et donc farfouinant dans ce sac. Ben je n'ai AUCUNE idée de ce que je cherchais !
pps : t'as vu ? j'ai lancé Mes Loupiotes... Le programme compagnon pour te rendre joyeuse la planification de ton 2021 !
Alors moi je cultive amoureusement les mots du patois local : taupouner, bouiner, patatiner...
Rédigé par : Marthe | mercredi 30 décembre 2020 à 20:05
J'adore ton histoire.
Moi, j'ai peu connu mes grands-parents ou pas été proches d'eux. Les merveilles langagières sont celles de la famille du côté de ma mère : c'est le parler de la Loire. J'aime dire "caravirer", "débarouler", appeler mon fils "le berchu". Ton histoire me donne envie de prêter plus d'attention à ces mots que ma mère et sa cousine utilisent dès qu'elles se parlent au téléphone. Sans prendre l'accent pour autant, quand même !!... ;-)
Rédigé par : Anne-Liesse | jeudi 31 décembre 2020 à 13:50
Aaaah, les mots des grans-parents, comme ils me manquent. Dans les mots moches il y a beurdudu (un cellier), un eparou (etendoire a linge), on utilisait une poche (un sac en plastique). En fait, ce qui me manque c'est la voix chantante de mon grand-pere quand il exprimait une opposition (non non, non non non, tiiiii tataaaaa) ou l’énergie qu'il mettait pour exprimer la surprise ou le désaccord complet. En vivant au Quebec je retrouve ici les r roules (parfois, pas chez tous) et les mots de vieux français. En effet, ici on dit chandail, tuque et mitaines et je trouve ça charmant.
Rédigé par : lou | vendredi 01 janvier 2021 à 17:50
oh la la, tous ces mots ! tous ces mots !! et les histoires et les lieux et l'affections qu'ils charient ! merci !!
Rédigé par : Christie | vendredi 01 janvier 2021 à 18:00