Emilie, tu me demandes comment naissent mes livres : " J'aurais aimé connaître la genèse de ces livres et la façon dont tu organises leur écriture à partir du moment où ton contrat est signé. Je suis curieuse, je sais, j'adore lire les interviews d'écrivain-e-s où elles/ils racontent leurs rituels, leur organisation, la façon dont elles/ils dépassent leurs blocages, s'ils/elles font beaucoup de recherches avant de se lancer ou pas, leur quotidien au moment de l'écriture."
MERCI.
Je vais faire pendant tout ce billet l'analogie avec la grossesse : lorsque j'écris un livre, je me sens enceinte de ce livre, je le porte et en suis habitée de manière très intime, comme je l'ai été par mes deux bébés. Et je commence à les porter, les livres, parfois très en amont de la phase de conception consciente et d'écriture ; comme avec mes bébés de chair, il y a une longue période (plusieurs mois, plusieurs années) où je porte déjà les livres, et ça ne se voit pas (Alma m'est apparue en rêve 5 ans avant sa conception). En ce moment par exemple, je suis en train de porter à un stade précoce deux embryons de livres, peut-être un verra le jour, peut-être zéro, peut-être les deux - comme pour les bébés, et j'en ai fait aussi, il y a des livres avortés, des fausses couches de livres.
Le processus est différent selon que j'aie une commande d'un éditeur, ou que j'aie une commande de moi - mais il y a toujours une période de gestation invisible et apparemment statique, une période où je médite le livre comme Marie la mère de Jésus méditait dans son coeur les paroles des uns et des autres, voilà, c'est comme une terre en hiver, il se passe des choses mais elles sont invisibles à tous et à peine perceptible à moi.
Pendant tout le confinement j'aurais eu le temps d'écrire, mais je ne portais pas de livre. Je venais d'accoucher du Kaizen. J'avais envie de lui faire honneur et de le célébrer. J'avais aussi envie de me nourrir et de me reposer - comme une jeune accouchée. Me nourrir de l'expérience même du confinement, et aussi de romans, et aussi de réexplorer mes outils de développement et Malakoff et mes liens avec mes aimés. Alors j'ai "fait mes gammes", j'ai écrit ici chaque jour, et mes pages du matin, et les propositions d'Emmanuel dans le cadre de l'atelier d'écriture, mais je n'avais pas soif d'un nouveau livre à écrire.
Et puis quand on est sortis. J'ai poursuivi les conversations du confinement, avec mes amies de coeur. Et l'une d'elle m'a mené à un Et si. Et si j'écrivais sur ce sujet ? (Je ne vais pas le dévoiler car comme les grossesses à un stade trop précoce, cela protège le bébé et soi de garder une part de mystère). Une forme m'est venue immédiatement, un embryon de forme.
A présent, y'a plus qu'à.
Y'a plus qu'à quoi ? Eh bien, choisir le bon cahier (j'en ai pris un qui a déjà servi à un autre projet qui n'aboutit pas, ça ne marche pas de faire ça je dois prendre un cahier NEUF). Noter mes questions, mes idées. Imaginer un calendrier. Ou du moins, une dose quotidienne ou hebdomadaire : combien de temps j'écris chaque jour, combien de chapitre chaque semaine, etc. Et à un moment prendre l'engagement vis-à-vis de moi-même, je le fais ou je ne le fais pas ?
Ce qui m'aide moi c'est d'avoir une liste de chapitres (même si elle évolue) : pour l'élaborer, je me demande simplement Qu'ai-je à dire sur ce sujet ?
Ce qui m'aide c'est d'avoir un carnet pour noter mes idées mes doutes mes encouragements... Une face B du manuscrit. Un lieu à moi concernant le livre.
Ce qui m'aide c'est aussi cette règle temporelle, j'écris telle dose au minimum chaque jour.
Tu me demandes si je me documentes, si je fais des recherches. La réponse est OUI. Les recherches principales je les fais en moi. Mais j'ai besoin de me nourrir de lieux (chaque livre est associé à un lieu ou à une série de lieux, par exemple le dernier je l'ai écrit dans plusieurs maisons de vacances auxquelles je suis très attachée, Trouver son ikigai je l'ai écrit dans mon lit à 90 %, et relu dans la forêt, Aujourd'hui je choisis la joie je l'ai écrit beaucoup dans le train et le métro...) ; et de rencontres, avec mes mentors (là ce sont des rencontres d'âme à âme, par la mémoire ou par leurs livres), et avec les personnes que j'interviewe. Et puis je fais de vraies recherches, avec internet, avec des balades, pour décrire des lieux avec précision ou me rappeler d'outils avec précision, chercher une citation, une source, etc.
Mais en termes de recherche formelle et consciente, I keep it light ; c'est-à-dire, toutes mes recherches répondent à un besoin (j'ai besoin de décrire un lieu que je connais, j'y vais si je peux ou alors je le retrouve avec Google Maps) ; et à une curiosité ; et à un besoin de regards et d'apports extérieurs, quand je sens que j'ai besoin de ces discussions pour nourrir ma réflexion sur le livre en cours. Parce qu'à vrai dire, lorsque j'écris TOUT ce que je vis et TOUT ce dont je me souviens est susceptible de venir nourrir le bouquin, et même je leur demande à ces expériences à ces lectures à ces souvenirs, de venir nourrir le livre en cours.
La genèse du livre, c'est un autre sujet passionnant. S'il y a une commande extérieure et que je dis oui, c'est assez simple - j'ai un sujet, un délai, le temps que je barbouille un peu, il me reste x semaines à diviser par x chapitres, hop mon rythme s'impose. Et comme j'ai promis à l'éditeur et que j'ai touché le chèque, je ne peut pas me dérober. Lorsque le sujet mûrit en moi, c'est vraiment un "et si" qui prend corps, petit à petit. Et à un moment je dis "D'accord j'y vais", et je m'organise en conséquence. Mais c'est beaucoup plus incertain, plus à l'aveugle - et moins rentable financièrement, so far. J'explique cela par le flair marketing des éditeurs, que je n'ai pas, pour saisir l'air du temps et le sujet dont l'époque a besoin. Quant à moi, je mets mon coeur pareil dans tous mes livres, mon coeur, mon intelligence, ma mémoire, ma vulnérabilité, mes tripes, pareil, que ce soit une commande de moi ou d'un autre, que ce soit mon blog ou un livre. Je n'écris que pour cela, donner le maximum par l'écriture.
Voilà ce que je peux te dire ce matin sur ce sujet qui me passionne.
Evidemment si tu, si vous avez d'autres questions, hé bien, ne vous gênez pas pour les poser ! et je verrai si je sais / peux / veux y répondre.
Merci d'avoir pris le temps de répondre à ma question et d'avoir partagé ton expérience, Christie ! Je viens de lire ton billet, qui m'a stimulée et touchée. Cette histoire de gestation me parle, bien sûr. A propos, as-tu lu "Journal de la création", de Nancy Huston ?
Rédigé par : Emilie | mardi 16 juin 2020 à 12:05
ah vos questions ont super bien stimulé ma racontouze !!
Rédigé par : Christie | mardi 16 juin 2020 à 14:24
Merci ! J'ai d'autres questions ! Y a-t-il un seuil au-dessous duquel tu sais que la dose minimale d'écriture sera trop minime, justement ? Genre le moteur n'a pas le temps de chauffer ? Ou est-ce qu'il y a des livres que tu as écrits à raison de tout juste 20 minutes par jour ?
Ensuite, ce contrat d'écriture, pour toi ça ne fonctionne que si c'est absolument quotidien ou bien ça peut être seulement du lundi au vendredi, ou bien deux fois par semaine ?
Rédigé par : Milky/Bree | dimanche 21 juin 2020 à 16:05
Coucou Milky ! alors, pour mon livre sur la joie j'avais fixé une règle à 5 minutes minimum par jour, 5 jours sur 7. Parfois je notais une idée, parfois l'écriture coulait et j'écrivais plus longtemps, toute la matinée quand je pouvais. Et en avril 2015 j'en ai eu marre (j"avais commencé en septembre 2012), enfin pas marre mais je me suis dit qu'il était temps que je le termine alors j'ai décidé de bomber. Et j'ai bombé d'avril à septembre et le livre a paru en novembre. Le contrat d'écriture dont tu parles il est différent pour chaque livre, qui porte son énergie à lui et à moi au moment où je l'écris. Tout dépend si j'ai un contrat (avec une date butoir) ou pas, de la disponibilité que je me sens (qui n'a rien à voir avec mon emploi du temps, les périodes intenses de bouclage de livre arrivent souvent au milieu de périodes intenses dans ma vie personnelle et professionnelle !) et de où j'en suis avec mon sujet, avec la phase de l'écriture aussi.
Rédigé par : Christie | lundi 22 juin 2020 à 22:00
Merci pour ta réponse ! C'est intéressant cette histoire de disponibilité indépendante du taux de remplissage de l'emploi du temps...
Rédigé par : Milky/Bree | mardi 23 juin 2020 à 09:48
c'est un peu contrariant parfois... par exemple pendant le confinement j'avais du temps mais je ne me sentais pas disponible pour commencer un nouveau projet, d'ailleurs je n'avais pas d'idées ! Et à la fois j'aime bien, enfin, je me suis habituée à vivre avec ces rythmes parfois très lents et parfois qui s'accélèrent !
Rédigé par : Christie | mardi 23 juin 2020 à 18:58