
Ma première sorcière s'appelait Maxime et son mari s'appelait Marcel. Oui une sorcière mariée, ce n'est pas fréquent, mais ce qui m'a chiffonnée, ce sont leurs prénoms. Une amie de ma grand-mère s'appelle Marcelle, elle est vieille, débraillée avec un chignon gris et ses lunettes tout le temps sur le nez ; et puis je connais un garçon de grande section qui s'appelle Maxime, il est brun et tout mince, il ne joue pas au ballon avec les autres, il les regarde du coin de la cour pendant la récréation. Alors quand mes parents me disent Nous allons passer des vacances au bord du lac d'Annecy chez Marcel et Maxime, cela me demande un peu de temps pour accepter que Maxime c'est la dame, et Marcel le monsieur. D'ailleurs je ne l'accepte pas, je tourne en boucle dans ma tête que c'est bizarre et pas normal, cet échange entre sexes et prénoms.
Nous roulons toute la journée dans la R16 beige, on doit s'arrêter plusieurs fois parce j'ai ben, j'ai vomi, et il fait complètement nuit lorsque Papa ouvre la portière et m'attrape pour me porter dans ses bras, On a fini par arriver, soupire à mon oreille sa voix fatiguée et soulagée. Des voix inconnues nous accueillent, et aussi les jappements d'un chien, je me le note mentalement pour demain le chien, je n'ai pas le courage d'ouvrir tout à fait les yeux mais j'aperçois sa longue queue noire qui remue dans les jambes de Papa, et des bardeaux de bois qui recouvrent la maison. Papa monte un escalier extérieur et nous rentrons par une porte vitrée. Il tourne dans une chambre à droite, me pose sur un lit avec une couette très douce, je me rendors.
Au matin. Je ne sais pas encore lire l'heure mais le soleil brille à travers les rideaux. Des voix traversent la porte en bois - ce sont les voix entendues hier soir en arrivant. J'ai bien envie de voir le chien ; et de voir la tête de cet homme qui a un prénom de vieille dame, et de cette femme qui a un prénom de garçon de 5 ans. Je saute de mon lit, ouvre doucement la porte de la chambre et... un grand chien aux longs poils noirs et fauve, au museau fin, aux oreilles grandes comme les couettes que Maman me fait souvent, se jette contre moi. Sa queue remue très vite et balaie le plancher. Ravie, je m'assieds sur le sol pour mieux pouvoir caresser son museau ; je ferme les yeux de ravissement lorsque sa large langue nettoie chaque centimètre de mon visage. Le chien pousse des jappements de ravissement et moi, je l'encourage en riant. Des pas accourent dans le couloir. Et une voix de femme rieuse et ferme, et grondeuse, et aimable, rappelle le chien à l'ordre - Wahoucla ! Wahoucla !! laisse la petite fille tranquille !!
C'est une dame. La dame. Elle est vieille, la peau de son visage est très ridée, ses yeux sourient très fort, ses cheveux sont chatain clair tirant sur l'orange, sa robe de chambre est bleue. Elle s'accroupit à côté de moi, caresse le poitrail de son chien qui remue toujours la queue, flap flap flap flap sur le plancher. -Tu n'as pas peur des chiens, on dirait ! - Non, pas du tout ! Et du vôtre pas du tout du tout, il m'a fait une sacrée fête. - Elle. Wahoucla. C'est une chienne. Moi, je m'appelle Maxime. Et toi, tu dois être Christie ?
Elle me regarde, des yeux noisettes très vifs et lumineux, entourés de rides en soleil que je trouve très belles. Elle me regarde et je me sens vue. Pas jugée, pas évaluée, pas corrigée, Cette petite fille devrait être comme ci ou comme ça, différente de ce qu'elle est - c'est la manière dont me perçoivent la plupart des adultes de mon entourage ! Non, elle, juste elle me regarde pour chercher à me voir.
- Est-ce que tu as faim ? me demande-t-elle lorsqu'elle a, semble-t-il, vu ce qu'elle voulait voir.
Elle m'emmène dans la cuisine, une grande pièce au bout du couloir, qui sent le café et les tartines grillées. Wahoucla va directement à la table en bois clair où est assis un petit monsieur presque chauve, tout rond, souriant, dans son pyjama bleu ciel quadrillé de bleu marine. Il porte des pantoufles en cuir, gratte le haut de la tête de son chien, qui s'assied devant lui, et il lui donne un petit morceau de sa tartine beurrée. Oh la la ! Quelle chance ils ont d'avoir un chien. - Bonjour Christie, me dit-il d'une voix joviale. Je suis Marcel. Tiens, assieds toi à côté de moi.
Maxime m'apporte sur une assiette blanche à carreaux rouges, deux tartines grillées comme il faut, beurrées de partout, et un verre de jus d'orange. - Je viens de le presser, me dit-elle. Sur la table, il y a un saladier plein de cerises énormes, rouge sombre, les meilleures. - Tu pioches, hein ? Tu te sers !
Comment a-t-elle deviné mon petit déjeuner préféré ?
En croquant dans ma tartine, je commence à regarder autour de moi. La cuisine est tapissée de bois, avec des rideaux et des torchons blancs à carreaux rouges. Une porte fenêtre donne sur une terrasse de bois et au delà, des sapins et au delà, l’étendue bleue scintillante....
Maxime me fait un clin d’œil et me demande, - J’espère que tu as bien pensé à mettre ton maillot de bains dans ta valise !? - Oh oui et j’en ai même deux ! je lui annonce fièrement, heureuse à l'évocation de mon nouveau maillot à carreaux rouges et blancs, à petits noeuds sur les côtés. - Tant mieux, parce que dans un petit moment moi j’irai me baigner et je serai heureuse de te montrer les coins où l’eau est plus chaude. Et aussi le ponton d’où on peut sauter en éclaboussant les grandes personnes.
Elle entrebaille sa robe de chambre et en dessous, me dévoile un somptueux maillot de bains une pièce en imprimé léopard. La peau entre ses seins est fripée et bronzée et souple. Je suis ébahie, ça alors, une vieille dame qui aime nager, et qui ne va pas à la plage pour me faire plaisir, non, qui y va d'abord pour son propre plaisir ! Je sors de table, la rejoins et entoure sa taille de mes bras. La chienne Wahoucla nous tourne autour en jappant. - Ma chérie, déclare Maxime, on va bien s’amuser ! - Oh oui Maxime. Tu ressembles à une sorcière.
Maxime cesse de sourire, son sourcil gauche se soulève... Alors je précise - Oh mais à une gentille sorcière !
Elle éclate de rire, un rire principalement gentil mais dans lequel perce une toute toute petite note qui m’inquiète un peu, et me charme.
Bonjour Christie,
J'ai d'abord lu ton texte sans voir la photo.
Les rides au coin des yeux qui sourient. J'ai pensé à ma grand mère paternelle. A mon père qui plisse lui aussi joliment. A mes propre yeux qui marquent à leur tour. J'aime leurs yeux, j'oublie parfois d'aimer les miens, leur peau fine et souriante.
Je vois à présent ta photo et nos pensées réunies grâce à ton texte.
Il est très beau.
Merci !
Anne
Rédigé par : Anne | vendredi 05 juin 2020 à 11:26
juste pour dire que je n'ai pas encore lu le texte car j'ai adoré cette photo et le "vrai" de ta personne
Rédigé par : sylvie | vendredi 05 juin 2020 à 13:24
merci Christie pour ce récit ! le "m'inquiète un peu", c'est génial :)
je t'embrasse !
Rédigé par : vio | samedi 06 juin 2020 à 17:17
peut-être qu'il y a des enfants dans mon entourage qui pensent que je suis cela, une gentille sorcière ; et pas toujours gentille !
la photo a été prise par Alma chérie.
Rédigé par : Christie | lundi 08 juin 2020 à 10:43
C'est si gai de te lire !
Rédigé par : nathalie | lundi 08 juin 2020 à 13:45
ça dépend j'imagine... mais ce souvenir-là est gai !!
Rédigé par : Christie | lundi 08 juin 2020 à 14:21