Et donc ce dimanche j'ai fait le ménage ; plus exactement, j'ai passé l'aspirateur dans les pièces communes de la maison, car le reste du ménage, les surfaces de la cuisine et de la salle de bain ou le changement de draps, nous le faisons quand ça nous parait trop sale. Je dois vous dire que d'habitude, ce n'est pas moi qui m'en charge... et à 45 ans je suis heureuse d'avoir l'occasion d'apprendre à tenir ma maison. Ouais j'ai conscience de ce que j'écris, à quel point je vis dans ma bulle - ce que nous faisons chacun, sauf peut-être les médecins et les banquiers. Bref je passe l'aspirateur (le nôtre tombe en morceaux) et cela me donne le temps de penser, notamment à ma grand-mère.
Mam a grandi dans une grande maison sur la place de l'église de Bains de Bretagne, son père était notaire, sa mère était une matrone, tous les deux avaient fabriqué 7 enfants et, "bien sûr", étaient servis. (Lorsque je disais à Mam que j'avais envie d'appeler une de mes filles Angèle, elle me répondait Ah non, pas Angèle, c'est le nom de la bonne !)
Puis Mam a rencontré Dad (Thérèse a rencontré André), fonctionnaire prometteur issu d'une famille de Je ne sais quoi (c'est vrai, je ne sais pas vraiment ce que mes arrières grands parents faisaient dans la vie du côté de Dad) dans la Creuse. Bref Dad n'avait pas un radis, juste son traitement de fonctionnaire chef de cabinet qui grimpait sûrement, mais lentement. Pas question pour Mam d'être servie.
Lorsque j'étais enfant (je passais beaucoup de temps avec Mam, ce qui explique que je sais plein de choses sur elle, sur sa famille, et bizarrement pas grand chose sur le reste de la famille - sauf du côté que Maman aimait, ses grands-parents maternels, alors là aussi j'ai des infos ; mais très peu du côté de son père à elle, elle était moins attachée à ce côté-là ; et je me demande, bien sûr, qu'est-ce qui, du récit familial, va rester à nos filles. Nicolas raconte bien plus que moi l'histoire de ses familles ; ou non ?)...
Je recommence. Lorsque j'étais enfant, Mam avait en face de sa chambre, à l'étage, un petit cabinet qu'elle appelait la penderie (c'était ce que nous on appelle un dressing) ; il était tapissé d'un magnifique papier peint très sixties, à chapeaux et à souliers. Magnifique je le pense hein, je l'adore toujours ce papier peint même si je sais que les propriétaires actuels l'ont fait disparaitre comme tout ce qui donnait du cachet à cette maison autrement assez moche. (Ce texte est de plus en plus décousu). Bref Mam avait dans sa penderie un coin pour cirer les chaussures, et dès que nous arrivions chez elle nous montions dans la penderie pour qu'elle nous les cire car chez nous, les chaussures cirées laissaient à désirer (je me demande comment avec grand-mère pareille, je peux être aussi peu fée du logis). Et pendant qu'elle accomplissait sous mes yeux ébahis les différentes étapes menant à la chaussure reluisante, elle me racontait souvent cette histoire. Qui tient en une phrase. Lorsque mon père nous a rendu visite après notre mariage, et qu'il a vu que je reprisais mes bas, il a pleuré.
Et ce qui moi m'a frappée dans cette histoire, c'est la différence de référentiel. Mam s'est mariée en 42, pendant la guerre - et tout le restant de sa vie, elle n'a rien jeté, a tout récupéré et réparé ; je suis née en 1974, en plein boom de la société de conso ; et quand une paire de bas était filée, ma foi, on la balançait et on allait au Franprix acheter un autre collant Dim à 5 francs. Très longtemps j'ai pensé que son père pleurait car elle n'avait pas de quoi s'acheter des collants Dim à 5 francs ; mais lui pleurait, car bien sûr il fallait repriser les bas troués, mais c'était à une bonne de le faire et certainement pas à sa Thérèse chérie. Mais Mam n'avait pas de bonne.
L'ironie de l'histoire, c'est qu'aujourd'hui mes chaussettes préférées sont les grises à pois oranges, dont j'ai réparé le talon avec un très beau fil turquoise, en point de satchiko.
Bonne journée mes chéries-chéris.
Au menu du jour:
- au dej, frichti de courge musquée au four + pomme poire (le tout dans un grand plat avec sel épicé au ras el hanout et huile d'olive, une heure à 160 degrés) et du boulgour ;
- et ce soir, sans doute une version de poulet à la marocaine de David. Merci à C'est moi qui l'ai fait !!!! mon blog jumeau et chéri depuis tant d'années.
je viens de passer un moment assise à côté de toi, et t'écouter raconter cette histoire
je t'embrasse
Rédigé par : Emmanuelle | mercredi 08 avril 2020 à 20:53