(Avec le rendu de mon livre, je récupère du temps - et vais pouvoir, enfin, reprendre ici certains des textes écrits à l'atelier d'écriture d'Emmanuel Bing où je me rends presque tous les mardis soirs. Pour les besoins de la confidentialité par rapport à ma famille et mes amis, je vais changer les prénoms. Je le change aussi car même si mes histoires ont une base de "ça m'est arrivé", ça ne m'est jamais arrivé comme cela tout à fait, il y a une part d'invention, de reconstruction. La plupart d'entre vous ne serez pas dupes et reconnaîtrez de qui il s'agit...
Bonne lecture !)
Deux tâches marron dans ma culotte. Les murs bleu lavande des toilettes réfléchissent violemment la lumière de l'ampoule à peine tempérée par l'abat jour en forme de soucoupe volante. Mon incrédulité - c'est ça, avoir ses règles ? Deux auréoles inégales qui tâchent ma culotte de coton gris ?
Je m'assieds sur la lunette de bakélite bleue, les pieds posés sur le tapis du même bleu qui fait le tour des toilettes, tapis sans doute imbibé de gouttes de pipi de mon frère qui ne sait pas viser. Mon regard s'abime dans ma culotte grise, dans ces deux tâches brunes, pour l'instant je ne ressens rien qu'une légère humidité un peu poisseuse, c'est tout de même très décevant. J'ai besoin de réfléchir à la suite à donner à l'évènement, prévenir direct Maman ? Ou garder l'affaire pour moi et aller lui piquer discretos quelques garnitures dans son stock ?
Je m'imagine demain le raconter aux copines. Presque deux ans que Natacha parade au sujet de toutes ces choses que je ne peux pas comprendre, vu qu'elle les a et pas moi. Non c'est vrai, je ne vois pas l'intérêt de me précipiter dans l'âge adulte. Conduire une voiture et risquer des PV, des accrochages, des accidents mortels. Travailler et subir le joug d'un patron, de clients, de nouvelles raisons d'insomnies. Avoir une maison, un appart, et galérer pour payer un loyer et entretenir mon lieu de vie. Avoir un conjoint et se disputer parce que y'en a toujours un qui veut plus que l'autre. Sans parler d'enfants à moi, ces puits sans fond de demande d'attention...
Depuis mon enclos bleu, je guette les bruits de la maison. Ben joue aux Playmobiles dans son bain, de l'autre côté de la cloison. Je l'entends faire alternativement les voix du capitaine des pirates et du commissaire de police, il a les deux bateaux, le bateau pirate et le bateau de la police, alors tant pis pour les anachronismes. L'émail de la baignoire grince sous ses fesses, l'eau doit gicler hors de la baignoire, sur le tapis bleu coordonné à celui où j'ai posé mes pieds.
De la cuisine un peu plus loin, me parviennent les bruits assourdis des gestes de Maman. Je ne sais pas d'ailleurs si je les entends ou si je les devine, j'extrapole l'ouie et la mémoire des gestes que Maman accomplit presque tous les soirs quand elle prépare le dîner. Notre cuisine blanche et jaune très éclairée par deux gros bulbes blancs sous des abats-jour en forme de saladier. On mange quoi ce soir ? Ah oui, soupe, omelette, salade. Oh la la la soupe. On est jeudi. C'est le soir où elle commence à sentir le légume ranci (notre nounou la prépare le lundi). Tiens ça sent quelque chose les règles ? Je baisse mon nez entre mes genoux, flaire la culotte. Non. Non, je ne sens rien.
- Les enfants, à table ! Ben, tu es encore dans ton bain ? Sors et sèche toi en vitesse, l'omelette va refroidir.
Maman n'a pas l'air d'humeur, ce soir. D'humeur à supporter le rythme lent de Ben, à écouter quoi que ce soit qui vienne de moi. Ce soir elle n'a pas d'appétit pour les particularités de nos deux caractères. Une crampe contracte mon ventre, le relâche, laissant une trace d'inconfort. Je sors des toilettes, croise Ben dans son peignoir mal fermé, il a laissé des traces humides et mousseuses sur toute la longueur du couloir. - Maman ne va pas être contente, je siffle en me glissant dans l'autre salle de bains, celle des parents, pour aller choper une protection de Maman.
Ma première protection.
Mon premier sang, qui ne ressemble même pas à du sang mais plutôt à une vieille diarhée liquide. Personne ne m'avait prévenue que ce serait comme ça !
En repassant dans le couloir, devant la chambre de Ben, je le vois assis sur son lit, toujours en peignoir, en train de lire Asterix en Corse pour la 32ème fois. J'entre dans la cuisine, Maman est assise à la table carrée, un verre de vin posé à sa droite. Son image se reflète dans le grand carré noir de la baie vitrée.
- Maman...
- Ah, vous voilà... Où es ton frère ? sa voix lasse...
- Maman, je crois que j'ai mes règles...
- Ah... elle me regarde... me sourit... D'accord.
tu m'as fait faire un voyage dans le temps... un peu plus de 30 ans en arrière ! je t'embrasse
Rédigé par : Emmanuelle | samedi 23 novembre 2019 à 14:21