
A l'audition pour jouer dans la comédie musicale du lycée, je devais arriver avec une chanson de prête. En salopette, couettes, des fausses tâche de rousseur, éblouie par la lumière blanche des projecteurs sur la grande scène noire du lycée, j'entonne avec une voix faussement enfantine J'ai tout mangé le chocolat, j'ai tout fumé les Craven A, et comme t'étais toujours pas là, j'ai tout vidé le rhum coca.
*****
Cinq ans plus tard. Il est quatre heures du matin, une nuit de mai, sur le campus d'HEC. Dans ma chambre lambrissée, je me tourne et me retourne sous ma couette à fleurs bleues. Toutes portes ouvertes, en plein courant d'air, je suis une maison vide, sans toi, sans toi. La femme délaissée. Tu n'a pas retourné mes appels depuis trois jours et, quand au bout de ces jours, pendant la nuit, je suis venue dans ta chambre pour en avoir le coeur net, tu m'as confirmé, dans un demi-sommeil C'est fini.
Je suis venu te dire que je m'en vais, et tes larmes n'y pourront rien changer.
Ont suivi des jours et des nuits d'engourdissement. Sortir du lit est une torture. Le matin, après un combat pour m'endormir et deux heures de mauvais sommeil, je me réveille en sursaut avec la sonnerie du réveil et la conscience du cauchemar, et je pleure. Je ne peux plus me réveiller, rien à faire, Sans moi le monde peut bien tourner à l'envers, Engourdie par le sommeil et prisonnière de mon lit, J'aimerais que cette nuit dure toute la vie. La journée en cours passe dans un brouillard, le dîner au RU, les conversations sans saveur avec tous les autres qui ne sont pas toi. Il manque quelqu'un près de moi, je me retourne, tout le monde est là, d'où vient ce sentiment bizarre que je suis seule, parmi tous ces amis, tous ces gens qui ne veulent... que quelques mots d'amour. Puis le retour solitaire dans ma chambre lambrissée et la difficulté et les larmes et
et cette nuit où je vois toutes les minutes s'égrener sur l'écran lumineux vert de mon réveil, j'ai envie de te voir et j'ai envie de te voir et j'ai envie de te voir. It's been seven hours and fifteen days, since you took your love away. Je pense à cette journée, il n'y a pas si longtemps, où nous nous étions disputés et tu m'as dit Je serai au bord du lac, je m'y suis précipitée, ne t'y trouvant pas je t'ai cru noyé, suicidé de chagrin d'amour et j'ai commencé à m'alarmer très sérieusement, t'appelant d'une voix angoissée, quand tu es apparu, descendant tranquillement la pente qui mène au lac, un sandwich crudités-thon à la main.
Ah qu'il est loin, qu'il est révolu, le temps où je te pensais capable de faire une folie pour moi !
Je pleure encore. De chagrin, d'épuisement, de solitude. Fermer les volets, ne plus changer l'eau des fleurs, oublier qui tu étais, ne plus jamais avoir peur. C'est pas juste que je sois si triste alors que toi, tu dors. J'ai envie d'être avec toi, mais comment faire ? Et je suis comme un oiseau mort, quand toi tu dors.... Une idée germe. Je décroche mon téléphone, compose le 5438, par chance tu n'as pas branché la messagerie, au bout de 7 sonneries, ta voix embrumée. Au bout du téléphone, il y a votre voix, et il y a les mots, que je ne dirai pas. - Allô ? Je prends une voix pâteuse. - Allô.... J'ai avalé la boîte des Valiums périmés de ma grand-mère et toute une plaquette de Doliprane... je me sens toute bizarre... - Nan ! T'as pas fait ça ? ta voix est complètement réveillée, d'un coup. - Si.... Est-ce que tu peux venir ? - Oui, oui, j'arrive. Tu raccroches.
Je me secoue. Me laver les dents, brosser mes cheveux, mettre ma chemise de nuit bleue, enfourner dans le placard la pile de vêtements froissés qui jonchent ma chaise, ouvrir la fenêtre pour dissiper l'odeur de tristesse.
Tes pas dans le couloir. Je saute dans mon lit, m'assieds, calée contre les oreillers. Tu entres, tu me vois fraiche et peignée, sinon dispose. Mon sourire tendre se transforme en sourire ironique en même temps que ton air inquiet se transforme en air furieux. - En fait, tu n'as pas du tout avalés les Valiums périmés de ta grand-mère, me dis-tu entre tes dents. - Heu, non. - Ah. - J'avais envie de te voir, et c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour que tu viennes. - Hé bien, je suis venu, mais je repars directement. N'use plus jamais, jamais tu m'entends, de ce stratagème minable avec moi. Tu avances vers la porte, je bondis du lit, je m'accroche à ton épaule. - Non, attends... - Salut.
Laisse moi devenir, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien, mais ne me quitte pas, ne me quitte pas, ne me quitte pas....
La porte claque. De mon côté de la porte, je me laisse glisser contre la paroi de bois lisse. Puis je me relève d'un bond et cours à la fenêtre, juste le temps de te voir passer sous un réverbère, sur le chemin goudronné qui serpente entre les arbres, entre mon bâtiment et le tien. Un sourire entre mes larmes. D'abord, c'était marrant de te foutre un peu la trouille. Ensuite, pendant un quart d'heure, mon existence a eu un but.
J'irai chercher ton coeur, si tu l'emportes ailleurs, j'irai chercher ton âme dans le froid dans les flammes, je te jeterai des sorts pour que tu m'aimes encore.
(Un grand merci à Sabine Paturel, Michel Berger, Serge Gainsbourg, Sinnead O'Connor, Jane Birkin, Agnès Varda, Michel Legrand, Prince, Françoise Hardy, Viktor Lazlo, Jacques Brel, Jean-Jacques Goldman, Serge Lama, Etienne Daho....... Vous pouvez écoutez ici la playlist de cette histoire.)
(Ce texte, je l'ai écrit hier soir à l'atelier d'écriture d'Emmanuel Bing. C'est un atelier que je recommande chaudement et où je vais continuer à aller je crois l'an prochain. Si tu te poses des milliers de questions A qui écrire, quand écrire, quoi écrire... et si tu veux écrire tout de suite les histoires que tu portes en toi, il y a aussi le Bootcamp que j'anime en octobre, Permis d'écrire.)
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