Quelqu'un sait-il pourquoi Jean Reboul, mon grand-père, a décidé, ou accepté, de se faire appeler Mon Cher par ses petits-enfants ? Peut-être avec un nom et un prénom aussi répandus, était-ce important pour lui d'avoir un nom de grand-père singulier. Singulier et ridicule. Enfin, le ridicule, lui s'en fichait. Il avait été beau avec ses yeux bleu gris et son teint bistre, ses cheveux bouclés, sa vigueur ; il était resté martial, et vigoureux. Mon Cher, jamais malade, toujours actif, le pire de la glande que je l'ai vu faire c'était de lire un livre ; mais généralement, je le voyais en train de tailler des cupressus dans son royaume de Belle Ile.
Ses premiers petits-enfants sont nés en 1971 et moi, je suis arrivée en 6ème position, en 1974. Je n'ai pas eu mon mot à dire, Mon Cher, je l'ai pris comme il était - son nom, je veux dire. Le seul moment où ça m'a posé un problème, c'était quand je leur écrivais, à lui et à Grand-Maman. Cher Mon Cher, ça sonnait bizarre. Et puis bien sûr, quand je devais l'expliquer, ce nom, à tous les autres dotés d'un simple Papy ou Bon Papa.
Mon Cher le Terrible, Mon Cher le Démiurge, fondateur d'une famille que j'ai tentée de renier. Ça a raté et je m'en félicite. Je les en remercie lui et Grand-Maman - les morts, parfois, viennent vous chercher. Depuis quelques années, Mon Cher et Grand-Maman me tirent par la manche, alors voilà, j'ai décidé (accepté) de raconter leur histoire - plus exactement, puisque c'est ça que je sais faire, j'ai décidé de raconter leur histoire avec moi.
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