Ce soir je ne vais pas à l'atelier d'écriture. Vous m'entendriez râler, tous les mardis, avant de partir. Ben ça m'ennuie de louper (même si ce que j'ai choisi de faire à la place me plait beaucoup). Bref, j'ai retravaillé ce texte de la semaine dernière, le voilà pour vous, et pour moi.
Le figuier
L'appartement au rez-de-chaussée, accessible par trois marches de pierre depuis la cour pavée, au milieu de laquelle trône un figuier. La lumière de l'appartement, avalée par la photosynthèse, absorbée par chaque feuille du figuier. En août, elle dort avec une bouillotte, en août à midi, quand elle n'est pas sortie, elle ne sait pas le temps qu'il fait dehors.
Son mec n'a pas de vacances cette année, il vient de commencer un boulot, alors par solidarité elle n'en prend pas non plus. La vérité, c'est qu'elle n'aurait pas su où aller. Elle reste toute la journée dans l'appartement sombre avec l'enfant, leur fille née en mars, qui de nouveau né diaphane est devenu un bébé rose et potelé, ses joues comme des pommes dans l'attente des dents qui préparent leur sortie.
Elle a du travail : terminer la rédaction de deux livres, un ouvrage de management sur la démission, et la biographie d'une quasi centenaire, mère de 10 enfants. Sa grand-mère lui a demandé : - Tu l'aimes, ce travail ? - Oui, ça va.... - Et tu gagnes ta vie ? - Bof, pas tellement... - Alors pourquoi tu n'arrêtes pas pour te consacrer complètement à ta fille ?
Elle ne veut pas. Elle refuse de se laisser enfermer par le fait de n'être qu'épouse, que fille, que mère. De là à trouver un boulot qui lui permette de vivre....
L'appartement au rez-de-chaussée donnant sur une cour pavée ARBOREE, est un spacieux trois pièces de 68 mètres carrés. Trois pièces en enfilade le long de la cour, le salon, un bureau-lingerie qui depuis la naissance du bébé est devenu sa chambre (on y fait toujours sécher le linge), et enfin, leur chambre dans laquelle elle a posé son bureau. Elle est assise à son bureau de pin blanc, à un mètre de la fenêtre qui laisse filtrer une lueur grise et verte, à un mètre cinquante du lit recouvert d'une couette en madras rouge. La lampe halogène est allumée. Sur l'écran de son ordinateur portable s'affiche la page d'une biographie qu'elle doit renvoyer à sa cliente avant le 15 septembre. Elle l'a rencontrée en mai pour une série d'entretiens, avec son bébé à côté d'elle couchée dans son couffin. La cliente avait demandé une ristourne pour cause de bébé présent, -Je ne vois pas le rapport ! avait-elle répondu, tant que le travail est fait et bien fait ! La petite était restée très sage tout au long des entretiens, elle ne s'était réveillée qu'une fois. La vieille dame, qui avait eu 10 enfants, 28 petits enfants et déjà 13 arrière, lui avait appris à masser le ventre de sa fille en la posant à plat ventre sur ses genoux. La toute petite fille avait bien apprécié ce massage par les genoux.
Le bébé a cinq mois à présent. La petite fille crapahute sur son tapis d'éveil, se tourne et se retourne dans un bruit de froissement. Du coin de l'oeil, elle l'aperçoit qui attrape un cylindre de plastique vert, le porte à sa bouche, le repose, puis trouve un livre en tissu, le froisse, l'abandonne. L'enfant cherche à ramper, se retourne, émet des cris de frustration ou de satisfaction. Elle encourage sa fille, la félicite, la console, repose les yeux sur son écran, essaie de comprendre la phrase qu'elle a écrit. "L'incendie s'était déclenché depuis un feu de cheminée mal éteint dans la maison du régisseur. Il s'est propagé dans la partie ouest du domaine et a commencé à lécher les murs de la grande maison. Les flammes illuminaient la nuit, et depuis la pelouse, à bonne distance du foyer, nous regardions les pompiers qui s'affairaient pour sauver notre maison. Nous grelottions dans nos robes de chambres et nos chemises de nuit, fascinés par le spectacle de la destruction de ce qui jusque là nous paraissait indestructible."
Le bébé commence à pleurer. Elle attend une minute avant de réagir, elle aimerait préciser un peu son texte, "nous", c'était qui et puis, à quelle heure le feu s'est-il déclaré ? Toute la maisonnée était-elle endormie ou bien seulement les enfants ? Les sanglots redoublent. - Une mère et son enfant ne sont pas faits pour passer toutes leurs journées enfermés seuls, a écrit Françoise Dolto. Elle fait rouler sa chaise vers l'arrière, les yeux toujours rivés à l'écran. Elle se lève, se dirige lentement vers l'enfant qui, en la voyant approcher, s'arrête de pleurer, lui tend les bras. Elle se penche, l'attrape, la jette en douceur sur son lit, se pose lourdement à côté d'elle. L'enfant rit. Elle lui chatouille le coup et la petite rit de plus belle. Puis se détourne et tente de crapahuter vers le rebord du lit. Pop pop pop, elle la rattrape par les boutons du pyjama en velours bleu. La couche est lourde. - Oh, tu sens le pipi toi ! Faudrait l'habiller cette enfant-là ! Mais d'abord, au bain mon canard.
Elle regarde l'heure sur le magnétoscope, il est onze heure et quart. Onze heure et quart et sa fille est encore en pyjama, et elle a réussi à se concentrer 10 minutes sur une phrase. Où est passé tout ce temps ? Parfois elle craint d'être dénoncée pour mauvais traitements ; quand par exemple elle aperçoit les marques rouges, luisantes, dans les plis du cou et les cuisses de son bébé ; ou quand elle néglige de vérifier la température de l'eau avec le thermomètre poisson. Elle va se reprendre.
Une pierre dans son ventre. -Allez viens, ma chérie, on va se faire toute propre, jouer dans l'eau tiède, et après nous irons manger un petit pot au parc que tu aimes. Ce qu'elle va manger elle ? Aucune idée. Elle se relève du lit avec l'aide de ses coudes, apprécie la douceur du coton de la housse de couette en madras, cette housse achetée avec sa mère il y a 6 ans chez Habitat, elle était en train d'emménager dans son premier appartement, la vie tout entière était promesse. Etait-elle plus heureuse alors qu'aujourd'hui ?
Une fois redressée, assise les deux pieds sur le parquet, elle prend sa fille dans ses bras, assure la prise (la main droite maintient fermement les fesses, la gauche est placée sous le bras droit de la petite), se lève, chancelle, se réassure, se dirige vers la chambre-qui-était-avant-son-bureau, ouvre avec sa main gauche la porte à battant du semainier vert anis, en sort une couche, puis le premier tiroir, en sort un body blanc, puis le second, en sort une salopette bleu ciel. Ce mois d'août est gris et chiant. Les affaires dans la main gauche, le bébé accroché à son cou, elle se dirige à pas lents vers la salle de bain.
Chaudoudou :)
Rédigé par : Cloudy | mardi 02 octobre 2018 à 18:45