Mon père qui l'aimait beaucoup, me demande parfois "Elle ne te manque pas, ta copine, Ingrid ?"
Je suis un peu gênée de lui répondre que non. Et je suis heureuse des raisons de ce "non".
Lorsque je pense à Ingrid, je perçois encore très vivement sa présence. Elle a beaucoup peint, photographié, collé, écrit durant ses années de maladie. Elle a été même été photographiée pour une campagne de bus à Rennes - son beau visage sur tous les bus !
Et moi, je tiens d'elle un geste que j'ai adopté dès que je l'ai vue le faire, dès qu'elle l'a fait sur moi. Ingrid, lorsqu'elle se promenait avec une personne aimée, glissait son bras sous le sien pour marcher de concert avec elle. La première fois qu'elle a pris mon bras, nous nous connaissions depuis quelques mois à peine et j'en ai conçu une émotion intense. Quoi, moi aussi, j'étais l'élue de cette jeune fille solaire et mystérieuse ? Quelle intimité délicieuse, une familiarité sans familiarité, pour moi ce bras passé sous le bras était le geste idéal.
J'ai tenu ainsi ma mère et Charlotte notre amie commune à Ingrid et à moi, et successivement toutes mes amies de coeur et sans doute des garçons aussi, ce geste est devenu le mien et l'est resté - je ne sais même pas si Ingrid l'utilisait encore, parfois on change d'habitude. Plus moyen de le lui demander.
Cela me rend heureuse de la savoir vivante à travers moi, grâce à ce geste qu'elle m'a transmis de proximité complice et respectueuse.
J'aime beaucoup cette idée de "comment garder vivant à travers soi" ceux qui ne sont plus là...
J'avais été très émue d'entendre Lazare Ponticelli, le dernier des poilus de 14-18, raconter dans une interview que lorsqu'ils partaient pour ce qu'ils savaient être une pure boucherie, ils se disaient entre eux "si c'est moi qui meurs, tu penseras à moi".
Le geste que tu décris va au-delà de "penser à la personne", et c'est une idée très douce de se dire qu'on peut laisser aux vivants autre chose qu'une place dans les pensées...
Rédigé par : Snödroppe/Sophie | samedi 20 juin 2015 à 09:09
Oui bien plus que cela...
Tu ouvres, réveilles mon désir de développer ce sujet Sophie, du dialogue avec les disparus (je cherche tâtonné mon sujet de prochain livre)
Merci !
Rédigé par : Christie | samedi 20 juin 2015 à 11:25
Quelle belle idée!...Quel beau sujet...
Rédigé par : Snödroppe/Sophie | samedi 20 juin 2015 à 21:42
Quel poignant et doux hommage.
A Ingrid la solaire, à votre amitié, à ce que vous continue à être un peu grâce à elle et par elle.
Un post qui me touche beaucoup et résonne...
Joli dimanche
Rédigé par : Cloudy | dimanche 21 juin 2015 à 10:03