Ma fracture de l’humerus.
Je reprends.
Ma belle fracture de l’humérus.
Bien nette.
Bien franche.
Bien surprenante - je skiais peinarde comme d’habitude - enfin, c’était le premier jour, enfin, j’avais très mal dormi et me sentais fragile, donc l’emmelement des bâtons dans mes genoux puis la chute puis la douleur à l’épaule droite qui m’a empêchée de me relever, ont une surprise et pas complètement une surprise.
Et les larmes de douleur de frustration de solitude sur ma piste. Elles coulaient d’un peu plus loin.
Ma belle fracture.
Grâce à toi je peux faire tant de choses !
Je peux dormir sans mettre mon réveil. Le sommeil me répare je n’en suis pas avare. Et depuis ton arrivée je dors, je redors, je ne me croyais pas fatiguée mais le sommeil vient me chercher et je l’accueille les deux bras croisés sur l’abdomen, les deux mains se donnant la main.
Je peux apprendre à écrire de la main gauche, à dessiner même aussi, j’écris d’une belle écriture soignée d’enfant de cp à qui ça prend du temps de tracer ses caractères. Du coup je choisis mes mots je suis fort économe des notes que je prends !
Mais grâce à toi ma belle fracture je profite surtout de tout ce que je ne peux pas faire. Me coiffer, alors ce sont les filles tour à tour qui tressent mes cheveux en nattes. Je m’assieds par terre, entre les jambes de ma grande fille qui est disponible, et elle me démêle les cheveux le plus délicatement possible et me concocte des nattes qui vont durer deux jours. Je ne peux pas non plus m’habiller complètement, alors c’est Nicolas le matin qui boutonne ma chemise et dispose le gilet attele après ma douche. Ni mettre correctement ma parka - en la maintenant par la col et la capuche à l’aide de ma grosse écharpe - et le vent me déplume alors je dois régulièrement demander à une passante si elle accepte de repositionner la parka sur mon épaule droite. Et elle accepte.
Et puis je ne peux pas couper ma viande ni éplucher la pomme et j’ai du mal à attraper la dernière pâte dans mon assiette - alors je demande de l’aide ou j’accepte que ça me prenne plus de temps.
Ce que tu m’as donné de plus c’est une présence accrue au monde. J’ai le temps, j’ai la place, tout tout mon temps pour écouter. Consoler quand il le faut. M’indigner quand il le faut. Être là complètement là pour celle, celui que j’aime.
Tu me donnes d’entrevoir l’humilité nécessaire lorsqu’on est dependant. Les contorsions nécessaires lorsque l’on souffre d’un handicap.
Merci ma fracture, ma chérie. Quand tu seras recollée on m’a prevenue que je t’oublierai vite. Serai-je une personne un tout petit peu plus douce et attentive grâce à toi ? Je me connais - j’en doute - allé, pour le moment je te savoure et si quelque fois je pleure c’est simplement mon coeur de pierre qui se fendille.
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