
Marie-Edith Charni-Robinne, la guest star du petit déjeuner ce matin, m'a permis de publier ici le texte de sa conférence.
J'ai souhaité la publier car j'ai été émerveillée par la profondeur et la justesse de ses propos sur la créativité. WAHOU ! Alors, à vous les studios, et merci chère Marie-Edith.
Bonjour,
Vaste question que décider de passer de la survie à la vie. J’ai bien dit décider, et la piste que je vais explorer est le chemin de la créativité. Devant l’enjeu du réel, c’est à dire le mouvement toujours surprenant de la vie et de ses méandres, il s’agit de nous interroger dans l’être ensemble, l’être au monde. La créativité est une bonne piste.
Au-delà d’être peintre plasticienne, je suis psychanalyste et je me permettrai d’intégrer dans ma réflexion une pensée à cheval sur ces deux aspects de moi-même.
Mon chemin a été sans cesse de tendre vers la vie. Sans vraiment le savoir. Car être dans la vie pour moi c’est être peintre plasticienne, c’est à dire dialoguer avec le monde, être au monde, partager avec le monde depuis cet emplacement. Bien plus d’ailleurs qu’en étant psychanalyste ce qui peut sembler un comble car c’est une place qui par essence convoque dans notre relation au monde. Etre peintre, j’ai mis 45 ans à l’accueillir tout d’abord, à l’accepter et maintenant à l’assumer.
Sommes nous si souvent en survie ?
La plupart du temps, oui. C’est dans un processus assumé qui nous demande de lâcher la survie pour la vie et ce processus est long,
Rappelons simplement que dès qu’il y a deux personnes, il y a violence. Il y a choc de la différence. Cela frotte, grince, démange. L’altérité effraie car derrière cette peur, cette terreur même nous avons la croyance chevillée au corps que ce sera ou vous ou moi. Là dans un premier réflexe. Parce qu’il y a distance, séparation, éloignement ou bien au contraire confusion. Parce qu’il y a étrangeté. Ou au contraire trop d’amalgames. Et là, ça colle, ça englue. Ça asphyxie.
Pour supporter cette rencontre nous allons mettre du « même », nous allons rechercher ce qui est commun, pareil, similaire….Et pour cela nous allons nous adapter ou demander à l’autre de s’adapter.
La créativité est là de toujours.
Elle est au début confondue dans le désir. Dans notre être au monde. Je la vis, je la ressens. Elle me fait vivante, elle me traverse. Elle se conjugue avec la vibration, avant la parole, avant le sens. Elle rejoint la sensation, la notion de plaisir ou de déplaisir. Elle témoigne de ma manière d’être au monde. Elle raconte comment je suis vivante. Comment la vie m’honore comme je l’honore. Elle m’inscrit dans le monde en lien avec le monde, participante du monde, porteuse du monde, devenir du monde. J’en fais l’expérience secrète. Elle me suivra tout au long de ma vie, réactivée ou refoulée selon mes nécessités vitales. Elle remplace le sens quand le non-sens prend toute la place.
La créativité je la définis comme une formidable autorisation à être. Moi : unique, particulière avec tous mes subterfuges, mes ruses et ma manière de biaiser pour être en vie plutôt que rester en vie.
Cette créativité, elle va m’accompagner enfant et m’aider à grandir en soutien de ce mouvement où nous apprenons à nous inscrire dans un lien social, à respecter les règles de cette communauté.
La créativité que nous aurions nommé en d’autres temps l’imagination. Cet espace qui nous permet d’inventer une autre histoire. Qui nous permet à la fois d’intégrer et d’accepter ce qui nous constitue, le système auquel nous appartenons. En nous donnant accès l’imitation. Ainsi du haut de nos 3 ou 4 ans, nous sommes comme papa et maman. Nous pouvons conduire des voitures, nous faisons l’école à nos poupées, nous devenons des aventuriers extraordinaires. Même dans des situations dramatiques, un enfant est capable de jouer, de s’inventer un monde où les licornes sont aussi répandues que les chevaux, où un morceau de carton devient maison enchantée, carte magique ou vaisseau spatial. Où le futur est plus doux, plus tranquille et je ne suis plus seule. Car la créativité nous définit dans le lien (conte de fée, amis imaginaires ou parfois ennemis jurés à combattre coûte que coûte).
Avec la créativité ou l’imagination, l’enfant va s’approprier le monde, lui donner la forme qu’il l’entend et donc se rassurer sur son pouvoir à dominer le monde. Imaginer vous tout petit avec ce monde infiniment grand. Ce monde qui vous écrase, vous anéantit parfois. Le monde peut beaucoup mais face à la capacité enfantine de le transformer, le monde ne peut pas grand-chose.
Voilà l’enfant maître du monde et de son destin. Il entre dans la fonction symbolique qui lui permet de s’extraire de la réductibilité de la vie.
Car l’enfant possède une autre qualité : il sait intimement la différence entre la vie, la mort et le système de survie. C’est bien pour cela que tout enfant qui se respecte va porter, tenir l’arbre quand son ou ses parents sont défaillants.
Ces deux qualités sont complètement liées et vont s’estomper avec le temps ou plutôt vont être reléguer dans les profondeurs de l’oubli ou du refoulement. Car ce sont des qualités encombrantes qui peuvent devenir encombrantes quand on doit s’adapter à la tribu à laquelle nous appartenons et que la raison prend le pas.
Ce qui ne veut pas dire que nous ne serons plus créatif mais nous ne nous en rendons plus compte et nous mettons notre créativité au service de la survie plutôt que de la vie.
En grandissant, nous adhérons à des systèmes de pensées, à des croyances, à des qualités qui nous permettent de trouver notre place dans notre famille, notre bande de copains. Cette adaptation est promesse d’un « être ensemble » : l’inscription du lien social bien entendu, le sentiment d’appartenance et cela nous renvoie dans notre intime à une histoire première, aux origines de notre vie : être aimé, être reconnu, être vu, être accueilli.
Cette adaptation nécessaire nous ajuste dans le groupe. Cette adaptation qui en nous inscrivant dans une place, pose le fondement du lien social et du respect de la loi.
Et nous passons de matrice en matrice : famille, école, entreprise. A chaque matrice plus ample, nous devons trouver de nouveaux repères, réajuster notre place, nous définir dans nos interactions avec les autres. Bien entendu, nous commençons toujours par prendre une place qui nous est dévolue en croyant prendre la place de notre individualité.

Et La créativité dans tout cela : C’est cet appel auquel nous avons à répondre. Cet espace où ce n’est plus le monde qui nous façonne mais nous qui osons nous façonner face au monde. C’est abandonner cette illusion que je façonne le monde. C’est faire l’expérience d’un être soi qui m’engage dans une relation à l’Autre.
Ainsi explorer notre créativité à l’âge adulte c’est revenir sur des sentiers connus mais oubliés. C’est aussi et surtout, en accueillant la surprise et l’étonnement la meilleure façon de nous familiariser avec l’étrange, l’inconnu. Parce que notre personnalité est toujours en devenir.
Si c’est si évident, pourquoi est-ce un chemin parsemé d’embûches ?
Parce que nous avons la peur chevillée aux tripes que nous façonner, c’est façonner le monde. A cet endroit nous restons dans cette dualité « c’est lui ou c’est moi ». Nous voilà dans la forfaiture, ce crime de lèse-majesté : si je me dis, me raconte, me mets en scène, me dessine, me jardine, me danse, me colore, alors le monde dans ma peur, mon fantasme ou mon vécu du désamour va me rejeter, m’ignorer, m’exiler, m’enfermer, me détruire.
Nous voilà coincé dans des fidélités, des postulats, des croyances, des injonctions.
Et si l’enfant dans une nécessité de survie se plie à l’adaptation demandée et nécessaire, il garde dans un développement normal cette capacité à e réinventer et à être dans la vie. Coûte que coûte.
Alors prendre le chemin de sa créativité c’est avancer à petits pas sur re-découverte de soi. Une réappropriation de son destin.
Quel chemin, quels risques à prendre :
Comment retrouver le chemin de notre singularité, retrouver la force de la créativité quand nous voilà adultes dit réalisés et bien campés dans nos vies. Comment nous accueillir sans jugement, sans peur. Avec la foi que nous aurons notre place dans le monde et que notre parole, aussi particulière soit-elle sera acceptée à défaut d’être comprise.
C’est cet immense défi qui nous convoque : être soi, être irremplaçable. Parce que être Soi dans mon inventivité constituera le socle qui me permettra d’être traversée par le monde, d’être présents au monde dans cette juste distance qui autorise le partage, la collaboration et la réciprocité. C’est éprouver que rien n’est acquis, que la fluctuation et le mouvement sont le propre de la vie. Que ce qui est aujourd’hui, ne sera peut-être pas demain.
Accepter le chaos. Que dans ce chaos il y a une part de nous qui demande à exister, qui demande à être reconnue. Cette petite musique qui nous semble discordante. Cette sonorité peu habituelle à notre oreille. Cette représentation de nous-même qui laisse place à l’inconnu. Et cette inventivité de soi qui va laisser émerger cette forme à venir. Nous voilà tout surpris. Il n’est pas rare alors d’entendre certaines personnes qui nous connaissent bien nous dire je t’avais montré le chemin, je te l’avais dit. Mais rien ne peut se dire, rien ne peut s’entendre tant que cet espace refoulé de nous-même nous n’en avons pas fait l’expérience.
Je suis peintre et parfois je vais peindre dans un atelier avec d’autres artistes où nous explorons le sans projet. Nous peignons puis nous prenons un temps pour montrer notre travail, pour prendre le temps de le regarder. Un grand classique : me voilà insatisfaite car j’ai l’impression de faire toujours la même chose Ou me voilà inquiète parce que cette couleur, cette forme surprenante, choquante, déstabilisante que je ne connais pas, est insupportable, non regardable. C’est trop différent, trop éloignée de moi. Combien de fois nous avons ri, devant la moue de dégoût de l’une d’entre nous. Je me voudrais légère et mes toiles sont surchargées de matière. Je fantasme épure et je brasse mille couleurs.
Il faut alors du temps, regarder le travail du coin de l’œil apprivoiser la forme, le sujet, l’objet. L’oublier parfois et poser un regard neuf, sans jugement, sans historique, poser le regard d’un enfant.
A cet endroit nous avons besoin d’humour aussi : pour soulager, relativiser, enlever cette charge. Se décentrer. L’humour nous rappelle que nous sommes en lien. Car être singulier nous fait peur de perdre le lien. La nous sommes encore dans la confusion : ce n’est pas le lien que nous risquons de perdre car ce lien existe quoi qu’il arrive et nous met dans notre humanité dans cette continuité d’appartenance. Nous sommes fils et fille de, nous sommes héritiers et héritières de lignées avant nous et nous sommes un maillon de lignée après nous. Nous sommes un vibration, unique particulière qui entre en résonnance avec la vibration de chacun dans cette salle est entre en diapason, avec des envolées, de vibrato, des silences aussi. Nous sommes frères.
Pour oser.
Certains pensent que la créativité est forcément artistique : non. La créativité c’est donner une réponse inattendue, c’est surprendre et se laisser surprendre. Ainsi si certains métiers peuvent sembler plus créatifs, ils ne reflètent pas nécessairement l’élan vital d’un aller vers soi. Cet élan qui va nous relier au monde Je connais des peintres qui reproduisent des champs de lavande à la perfection. Et pourquoi pas ? Si c’est leurs modalités d’exploration de la couleur, de la lumière. Seule leur aigreur du monde me laisse dire que certes un champ de lavande cela plaît, ou cela se vend mais qu’il manque une dimension sacrée. En tous les cas pour ces peintres là.
La créativité permet d’agrandir son espace intérieur et de le renforcer. Me voilà plus riche de sensations, de contenus, d’envies.
La créativité c’est le chemin particulier que je vais emprunter pour aller d’ici à là-bas. Ce qui fait j’emprunterai le chemin des écoliers, la face ardue de la montagne, à moins que je préfère un passage secret. Peu importe le chemin, la direction, c’est mon chemin, et vous avez votre chemin.

Je peins et je bricole de mes mains depuis toujours. Lorsque j’étais enfant mes parents m’offraient feutrine et fil de fer et cela me ravissait le cœur. Puis j’ai exploré danse, théâtre bref toutes les manières de produire quelque chose qui donne du sens à ma vie. Même si ce ne sont pas ces mots que j’utilisais. J’ai souvent perdu la peinture mais elle m’a toujours retrouvée. Ainsi alors que je développais une entreprise de relations presse dans l’édition, puis que je reprenais des études de psychothérapeute et que je devenais psychanalyste, je n’ai cessé de retourner régulièrement à la peinture. Spontanément ou avec le soutien du regard de l’autre. Celui qui s’arrête, apprécie parfois encourage. Celui qui vous aide à regarder, à observer votre travail, votre production. Une personne qui m’a beaucoup aidé sans le savoir a été ma belle-mère. Elle peint de manière naïve, de la figuration à l’huile que certains pourraient nommer « croûtes ». La voir peindre et exposer dans son appartement des œuvres simples m’a aidé à m’autoriser. A Oser.
Si Mamy Guylouchette se donner la liberté de créer, d’être fière de sa créativité alors pourquoi pas moi ?
Puis au-delà d’une envie, ce fut une révélation : si je suis psychanalyste et j’ai développé ce métier pour trouver du sens, en fait je suis peintre, indiscutablement. Vous imaginez la première fois que cette pensée vous traverse : vous respirez profondément et vous dites : cela va passer. Puis cette pensée va cheminer et faire corps, prendre corps, devenir courant, vibration, aspiration. Cette pensée va s’incarner. Certes je l’ai nourri, d’abord mine de rien, en passant… Puis en assumant car je faisais l’expérience de la joie et de abondance, du rire, de me sentir vivante. Dès l’instant où j’étais dans l’instant. Où je ne me questionnais plus sur « comment je vais vivre ?, payer mon loyer ou mes charges ? Bien entendu le principe de réalité est là mais loin de déréaliser le réel, l’imaginaire nous permet cette rencontre. Bien entendu je dois répondre à des impératifs vitaux mais à chaque fois que je me suis laissé glisser dans le courant de la vie plutôt que d’être dans la résistance d’une pensée profondément mentale et justificative, la vie a donné des réponses, des cadeaux, des opportunités, des possibles.
Certains diront : mais je suis en vie, je suis ce que je suis et je sais parfaitement qui je suis. D’ailleurs voici ma carte de visite. Ou bien voilà la liste de mes traumas. Ou voici d’où je viens, où je vais. A moins qu’ils ne vous expliquent tout ce qu’ils ont fait, entrepris, réussi bien entendu. D’autres évoqueront ce qu’ils possèdent et qui rappellent à chaque instant la personne qu’ils sont. Et ils ont raison : nous sommes la somme de tous cela. Une identité sociale, des bagages bien remplis, des fantômes, des névroses, notre lot de réussite et d’échecs, un CV.
C’est oublier le temps qu’ils consacrent à survivre, à tenir ce qu’ils ont, à répondre à l’image qu’ils exigent d’eux-mêmes, à maintenir un train de vie, une place hiérarchique, un réseau qu’il soit social ou familial. Peu importe notre place qu’elle soit en haut ou en bas. C’est ce dire est-ce ma place, est ce qu’elle me ressemble ? où puis-je m’engager depuis là où je suis ? De quelle manière vais-je dialoguer avec le monde sans crainte qu’il me dévore, me détruise ou me submerge ? Quel sera ce geste anodin mais riche de sens pour moi où dans ma surprise, mon étonnement et ma prise de risque je vais apporter ma contribution à me vivre au monde. Et ainsi être dans l’expérience du lien, un maillage de relations présentes, futures ou passées. Des liens qui perdureront quoiqu’il arrive même si la relation s’arrête.
Des liens qui nous enracinent dans le monde. Traversés par la vie.
La créativité c’est ce qui donnera ma forme singulière et me donnera la force de me différencier d’avec le monde pour mieux le rencontrer.
C’est apprendre que la responsabilité apaise la culpabilité. Cette culpabilité intrinsèque à notre existence. Cette culpabilité qui témoigne de tous les lieux où nous nous sommes trahis, mais surtout nous avons abandonnés des parts de nous-même par ce que cela nous semblait nécessaire pour gagner notre place dans le monde.
La créativité, c’est aussi ce qui me fera supporter la précarité nécessaire.
La précarité qui définit une forte incertitude de conserver ou récupérer une situation acceptable dans un avenir proche.
La précarité qui nous demande d’accepter que demain ne sera pas comme aujourd’hui. Que je rencontrerai douleurs et joie, qu’aujourd’hui est la vie et demain sera la mort. Que parce qu’il y a la mort, la vie est précieuse. Cette précarité qui me demande de contacter l’expérience du lien, ma créativité pour continuer à être au monde dans ce paradoxe de me sentir en sécurité avec ma précarité.
Aujourd’hui je suis peintre à 80 % de mon temps et 20% psychanalyste. Aujourd’hui je suis peintre à 100% et je quitte la psychanalyse.
La certitude côtoie la peur et la panique parfois. Je ne sais pas où je vais, ni comment. Je sais juste que cela me met sur un chemin de réconciliation et d’expériences. Que cette expérience fait aussi expérience pour d’autres.
Je vous remercie de votre attention.
J’ouvre les portes de mon atelier les 9, 10 et 11 octobre prochains au 35 rue d’Hauteville dans le 10ème arrondissement.